mercredi 26 février 2014

Bonne Lecture : "Hadrien" de Joël Schmidt.


                                        Hadrien est sans doute l'un des Empereurs les plus célèbres et l'une des figures les plus intéressantes de l'Histoire romaine. Pourtant, les biographies qui lui sont consacrées sont rares, du moins en Français. Peut-être est-ce à cause des "Mémoires d'Hadrien" de Marguerite Yourcenar, chef-d’œuvre littéraire scrupuleusement documenté, qui retrace la vie de notre personnage. "Littéraire" est le mot-clé : ce somptueux roman, bien que basé sur des sources antiques et aussi saisissant de réalisme soit-il, n'en demeure pas moins une œuvre de fiction. Voilà probablement le défi à relever pour qui souhaite se faire le biographe d'Hadrien : réussir à oublier le roman magistral de Yourcenar, pour tenter de se rapprocher d'une réalité historique dépouillée de l'affect insufflé par le talent de son auteur et l'utilisation de la première personne.

                                        C'est ce qu'a tenté de faire Joël Schmidt dans son dernier ouvrage, sobrement intitulé "Hadrien".  Il y réussit remarquablement bien et bat en brèche nombre d'idées reçues. Pour se faire, cet intellectuel réputé est remonté directement aux sources, alimentant son travail de nombreuses citations et extraits de textes antiques, qu'il replace systématiquement dans leur contexte. Biographie en partie linéaire et en partie thématique, le livre s'ouvre sur des chapitres qui retracent la jeunesse, la formation et la carrière d'Hadrien jusqu'à son accession à la Pourpre, et se poursuit ensuite par une présentation des grands axes de sa politique et de sa personnalité.

                                        Hadrien naît en 76 à Italica en Espagne. A la mort de son père, le futur Empereur Trajan le prend sous son aile et Hadrien gravit rapidement les échelons, faisant preuve de ses talents de militaire autant que d'administrateur. Adopté par l'Empereur, dont il a épousé la petite-nièce Sabine, il lui succède à sa mort en 117, et règnera jusqu'en 138. 

                                        Son règne représente à bien des égards un tournant dans l'Histoire romaine. D'abord parce qu'Hadrien rompt avec l'expansionnisme territorial de Trajan et opte pour une stratégie défensive, abandonnant certaines des conquêtes de son prédécesseur pour limiter l'Empire à des frontières plus aisées à défendre - notamment grâce à l'édification du mur qui porte son nom, au nord de l'actuelle Angleterre. Ensuite parce qu'il achève de développer l'administration impériale initiée par Nerva et Trajan, et qu'il codifie les lois en droit perpétuel, jetant les bases du futur Digeste de Justinien, lui-même à la source d'une large partie de la législation occidentale. Enfin parce que, imprégné des cultures grecques et orientales qui le passionnent, Hadrien annonce d'une certaine manière l'influence grandissante de l'Orient sur Rome et, à son insu, creuse les premiers sillons de la faille qui finira par scinder l'Empire romain en deux entités distinctes - Empire d'Orient et Empire d'Occident.  


Buste d'Hadrien. (Musées du Capitole, ©Marie-Lan Nguyen via wikipedia.)

                                        S'il analyse brillamment ces aspects du règne d'Hadrien, Joël Schmidt s'attache aussi à dépeindre la personnalité d'un homme complexe et fascinant. Dans le domaine public, c'est un excellent gestionnaire, qui s'intéresse au moindre détail politique, administratif ou juridique. S'il sait s'entourer d'homme compétents, on a parfois l'impression que l'Empereur a du mal à déléguer... Grand voyageur, il parcourt inlassablement son Empire, dont il inspecte toutes les provinces. Épris de justice, il accomplit des réformes et prend des décisions qui adoucissent le sort des esclaves et la situation des femmes ; mais ce côté libéral est contre-balancé par son respect des institutions, grâce auquel il maintient de bons rapports avec le Sénat.

                                        Mais c'est surtout dans la sphère privée que se révèle Hadrien. Érudit, maîtrisant d'innombrables disciplines (littérature, sciences, architecture, philosophie...), son amour de la culture grecque n'a d'égal que sa curiosité intellectuelle et son ouverture d'esprit. Un homme accompli, imprégné d'humanisme mais qui, pourtant, persécute les Juifs et les Chrétiens. Les révoltes menées par les premiers et le prosélytisme des seconds peuvent expliquer les répressions implacables dont ils furent victimes - mais le paradoxe entre la tolérance d'Hadrien et ces persécutions demeure, et Joël Schmidt s'y intéresse longuement. Sur ce sujet, je ne peux m'empêcher de penser à la biographie de Marc Aurèle rédigée par Yves Roman (voir ici) : il soulignait que l'Empereur-philosophe (qui régna après Hadrien) n'avait tout simplement pas compris la pensée judéo-chrétienne. L'analogie entre ces deux empereurs est à cet égard frappante, d'autant qu'on ne peut imaginer qu'un homme aussi instruit et cultivé qu'Hadrien n'ait pas été au minimum intrigué par ces courants religieux.

                                        Reste à évoquer le changement de caractère d'Hadrien au cours des derniers mois de sa vie. Les historiographes et ses contemporains le dépeignent alors comme un homme cruel, paranoïaque et vindicatif, prompt à exécuter les Sénateurs... Joël Schmidt relativise, arguant que cette réputation est avant tout la conséquence de l'impopularité de l'Empereur auprès des Romains, qui voient finalement d'un mauvais œil l'influence que la Grèce a gagnée sous son règne. Pour ma part, je me garde bien de trancher mais je pense qu'il est possible qu'Hadrien, aigri car miné par la maladie et en proie à de terribles douleurs, ait trouvé pour exutoire la cruauté dont on l'accuse.

                                        Comme toujours avec Joël Schmidt, le propos est érudit mais toujours accessible. En dépit de l'énumération, parfois fastidieuse, des voyages d'Hadrien, le style est fluide et agréable. L'auteur retient l'essentiel et développe quelques thématiques passionnantes, comme la propagande dans la numismatique, la question de la succession impériale, ou la Villa Hadriana. Le livre est donc un bon condensé sur la personnalité et sur l’œuvre politique d'Hadrien. Pour le reste, j'avoue avoir regretté que la biographie à proprement parler ne soit pas plus fouillée : par exemple, la relation d'Hadrien avec Antinoüs n'est que brièvement évoquée. Il n'empêche que l'ouvrage est remarquable de concision et de finesse. En outre, j'ai maintenant envie de me plonger dans les textes antiques, et surtout de... relire les "Mémoires d'Hadrien", à la lumière du livre de Joël Schmidt ! Décidément, on n'en revient toujours là.




"HADRIEN" de Joël SCHMIDT.
Éditions Perrin - lien ici.
360 pages - 23€.



Petite précision : je pense avoir fait preuve d'objectivité, mais là, je vais flamber un peu. Parce que Joël Schmidt a eu l'immense gentillesse de citer mon blog dans ses sources, lorsqu'il parle des Jeux Romains de Nîmes, qui mettent en scène chaque année la visite d'Hadrien dans notre ville. Je l'en remercie s'il lit ses lignes. Heureuse d'avoir été utile, et surtout très fière : l'Empereur n'est pas mon cousin...


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