dimanche 21 février 2016

La montagne qui accouche d'une souris.


                                       Et une nouvelle expression d'origine latine à fourrer dans votre besace ! Une petite phrase, passée dans le langage courant et qu'on trouve - déjà - dans les textes d'auteurs antiques. Cette fois, la signification en est restée la même : lorsque l'on évoque la montagne qui accouche d'une souris, on parle d'un résultat bien décevant, comparé à ce qu'on en attendait.

                                       Dans la langue française, cette expression est surtout connue par le biais d'une fable de Jean De la Fontaine, précisément intitulée  "La Montagne qui accouche."
"Une Montagne en mal d'enfant
  Jetait une clameur si haute,
  Que chacun, au bruit accourant,
  Crut qu'elle accoucherait, sans faute,
  D'une cité plus grosse que Paris ;
  Elle accoucha d'une souris.
  Quand je songe à cette fable,
  Dont le récit est menteur
  Et le sens est véritable,
  Je me figure un auteur
  Qui dit : Je chanterai la guerre
  Que firent les Titans au Maître du tonnerre.
  C'est promettre beaucoup : mais qu'en sort-il souvent ?
  Du vent."
(Fables, V-10.)

On remarque au passage l'allusion à Ovide : l'auteur qui chante "la guerre que firent les Titans", c'est lui !  Et plus précisément dans les "Métamorphoses" (L. I - v.151.)


"La montagne qui accouche d'une souris". (Ill. de la fable de La Fontaine - XVIIIème s.)



                                       Du coup, lorsqu'on y réfléchit, l'origine antique de la maxime est déjà moins surprenante tant on sait que La Fontaine a largement puisé (logique, pour La Fontaine !) dans l’œuvre d'Ésope. En l’occurrence, on peut penser qu'il s'est davantage inspiré de Phèdre (voir plus bas), lui-même ayant copié Ésope... Dans "De l'accouchement d'une montagne", le fabuliste grec raconte comment une montagne, sur le point d'enfanter, poussait des cris épouvantables. La foule se pressa en masse à ses pieds, s'attendant à assister à la naissance d'un monstre... mais seul un rat apparut !

                                       Mais c'est surtout un poète latin, Horace, qui a popularisé l'histoire dans la culture occidentale : c'est en effet lors de la redécouverte au Moyen-Age de son "Art poétique" que la phrase a été remise en lumière. Dans le passage qui nous intéresse, Horace fait bien allusion à la fable d'Ésope, et il emploie l'image insolite pour critiquer ces écrivains qui font miroiter à leurs lecteurs des œuvres épiques, quand ils sont bien incapables de tenir leur promesse.
"Bien entendu, tu ne commenceras pas, comme jadis le poète cyclique : 'Je chanterai la destinée de Priam et la guerre fameuse...' Comment tenir une promesse faite d'une voix si éclatante ? La montagne va accoucher d'une ridicule petite souris. [Parturient montes, nascetur ridiculus mus] Comme il est plus habile, le poète qui commence, sans exagération maladroite : 'Dis-moi, Muse, le héros qui, après la prise de Troie, vit tant d'hommes de caractères différents et visita tant de cités !' Chez lui, la fumée n'étouffe pas la flamme, mais c'est de la fumée que jaillit la lumière; alors apparaissent des beautés, des merveilles." ("L'Art Poétique", I-v.136.)

Statue d'Horace. (Venosa.)
 
                                       Après Horace, d'autres auteurs utiliseront à leur tour l'expression : Phèdre reprendra la fable elle-même, Lucien et Plutarque citeront l'adage.
"Il y avait, même chez les autres Égyptiens, beaucoup d'empressement et de curiosité, justifiés par le nom et la réputation d'Agésilas; et tous accouraient pour le voir. Mais ne trouvant pas l'ombre d'éclat ni d'appareil, et n'ayant en face d'eux qu'un vieillard accroupi sur l'herbe au bord de la mer, d'un corps grêle et petit, vêtu d'un manteau grossier et de mauvaise qualité, ils se mirent à le railler et à faire de lui des gorges chaudes, en disant que c'était bien la fable de la montagne en travail qui accouche d'une souris." (Plutarque, "Vie d'Agésilas", 36.)

                                       Essaimant dans la littérature française, l'image de la montagne accouchant d'une souris se rencontre notamment chez Rabelais ou Boileau. Mais c'est bien sûr la fable de Jean de La Fontaine, citée plus haut, qui est restée la plus célèbre et a popularisé l'expression.

                                       Chose amusante, les fables de Phèdre étaient couramment utilisées dans la Rome antique par les professeurs de grammaire et de rhétorique, pour enseigner les notions de base de la langue et de la composition. Pour conclure cet article, je vous propose donc de lire la version de Phèdre (L. IV-21.). Et en plus, ce court texte est une bonne occasion de travailler votre Latin (mais rassurez-vous : il y a quand même la traduction.)


Mons parturibat, gemitus immanes ciens,
eratque in terris maxima expectatio.
At ille murem peperit.
Hoc scriptum est tibi,
Qui, magna cum minaris, extricas nihil.


Une Montagne accouchait, poussant des cris immenses;
Et dans le monde régnait la plus grande attente.
Mais elle accoucha d'une souris.
Ce texte te concerne, toi qui menaces beaucoup, mais n'en fais rien.


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