dimanche 13 janvier 2013

Galette Des Rois, Epiphanie et Rome Antique.


                                        J'aime la galette, quand elle est bien faite avec du beurre dedans ! Oui, mais voilà : d'où vient-elle, notre fameuse galette des Rois ? J'ai déjà répondu à cette passionnante question ici, lorsque j'ai abordé les origines païennes (et romaines !) de notre fête de Noël. Alors, pourquoi y revenir ? Et bien parce qu'un internaute (Pierre Nyst, que j'en profite pour saluer) m'a fait remarquer que c'était bien gentil de rapprocher l’Épiphanie des Saturnales, mais qu'il y avait comme un "os" en terme de dates... Et il a absolument raison ! Même au paroxysme de leur longueur, les Saturnales ne duraient pas jusqu'au 6 Janvier. Dès lors se pose une question légitime : si notre délicieuse galette des Rois provient directement d'une pratique liée aux Saturnales, pourquoi la dégustons-nous en Janvier, et non pas à Noël?

                                        De manière générale, tout le monde s'accorde pour reconnaître que notre tradition de la galette de l’Épiphanie découle de ces fameuses Saturnales, et du gâteau dans lequel on dissimulait une fève qui désignerait le "Roi". Moi la première. Et c'est parfaitement exact, à ceci près que cela ne veut pas dire que l’Épiphanie elle-même vient des Saturnales... Je sais, c'est pervers ! Prenons-donc les choses dans l'ordre.

                                        L’Épiphanie (du grec epiphaneia : manifestation, apparition) est une fête chrétienne, célébrée le 6 Janvier. Le jour est même parfois férié (en Espagne par exemple) et, dans les autres pays, on en reporte la célébration au Dimanche suivant. Dans les Églises occidentales, l’Épiphanie célèbre l'adoration de l'enfant Jésus par les Rois Mages - d'où le nom de "Jour des Rois". L'événement n’est cependant mentionné que dans l’évangile selon Saint Matthieu, qui ne précise d'ailleurs pas le nombre des mages.
"Jésus étant né à Bethléem de Judée au temps du roi Hérode, voici que des mages venus d'Orient se présentèrent à Jérusalem et demandèrent : "Où est le roi des Juifs qui vient de naître ? Nous avons vu en effet son astre se lever et sommes venus lui rendre hommage." Informé, le roi Hérode s'émut, et tout Jérusalem avec lui..." (Évangile Selon Saint Matthieu, 2.1.)

"L'Adoration Des Mages" (Mantegna)

                                          Les précisions que nous connaissons sont apportées par le Livre arménien de l'enfance du Christ, un évangile apocryphe du Vème ou VIème siècle, qui revient longuement sur la visite des trois Rois Mages, qui y sont nommés pour la première fois (Melchior, Gaspard et Balthazar). Comme dans l'évangile de Saint Matthieu, ils offrent à l'enfant Jésus de l'or, de l'encens et de la myrrhe, respectivement symbole de la royauté, de la divinité et de la passion.  En Orient, en marge du Noël orthodoxe (nuit du 6 au 7 Janvier), l’Épiphanie correspond à la commémoration de l'adoration de Jésus par les mages, à son baptême dans le Jourdain et à son premier miracle lors des noces de Cana.



"Le Baptême Du Christ" (Vème s., Évangéliaire d’Emacin, source artbible.net)




"Bacchus." (Le Caravage)
 Mais, dans l'Antiquité, le 6 Janvier était marqué par d'autres cultes, d'autres fêtes païennes. Tout d'abord, on fêtait la renaissance du Dieu Dionysos, démembré par les Titans et  revenu à la vie suite à l'intervention de Rhéa, la mère de Zeus. Dionysos possédait en outre la faculté de changer l'eau en vin :
"Nicaea est une Naïade, fille du fleuve Sangarios et de la déesse Cybèle. Elle était rebelle à l’amour et n’aimait que la chasse. Aussi, lorsqu’un berger de Phrygie, Hymnos, la courtisa, il n’éprouva que des dédains. Et, comme il ne se résignait pas à son échec, elle le tua d’une flèche. Alors, Eros, indigné, comme tous les dieux, de cet acte violent, inspira une passion pour Nicaea à Dionysos, qui l’avait vue toute nue, en train de se baigner. Mais Nicaea ne céda pas davantage au dieu, qu’elle menaça du même sort qu’Hymnos, s’il ne la laissait pas en repos. Dionysos changea en vin l’eau de la source où elle buvait, et, quand elle fut ivre, n’eut aucun mal à s’en rendre maître." (Pierre Grimal, "Dictionnaire De La Mythologie Grecque Et Romaine" d'après les "Dionysaques" de Nonnos.)

Deux éléments - résurrection et eau changée en vin - qui doivent vaguement vous rappeler quelqu'un.

"L’Enfant Bacchus Tué Par Les Titans Et Ramené A La Vie Par Rhéa" (Taddeo Zucari)

                                        On célébrait aussi le 6 Janvier la naissance d'Harpocrate, fils d'Isis et d'Osiris, personnification du soleil renaissant puisque représentation d'Horus enfant. Et, cerise sur le gâteau (des rois), on rendait hommage aux 12 Dieux Épiphanes - c'est-à-dire aux équivalents des Dieux olympiens qui se montraient aux hommes, comme Jupiter, Mars ou Aphrodite. Et bien sûr, j'ai déjà parlé dans un précédent article du culte rendu à la Déesse Strenua. Pour rappel, cette Déesse présidait à la purification et au bien-être. Or, Strenua est très vraisemblablement l'ancêtre de la Fata Befana italienne, une vieille et gentille sorcière (strega, en Italien) qui, sur son balai, apporte des cadeaux aux enfants sages dans la nuit du 6 Janvier. La légende la lie directement aux Rois Mages : ceux-ci l'avaient avertie de la naissance du Messie et l'avaient invitée à les accompagner jusqu'à Bethléem. Mais la Befana refusa, avant de se raviser et, un panier de gâteaux au bras, elle partit sur les traces de nos trois gaillards. Elle ne les rattrapa jamais et, depuis, elle va à leur recherche tous les ans, distribuant au passage des cadeaux aux enfants. Ce lien Strenua - Befana - Rois Mages montre donc bien l'évolution de cette fête, du culte païen d'une déesse italique à la célébration d'une fête chrétienne.

La Fata Befana. (via creandounpo.blogspot.com)


                                        Penchons-nous un peu plus sur cette date du 6 Janvier : la date tombe précisément 12 jours après Noël. Et 12 jours, c'est à peu près la durée qui sépare le calendrier lunaire (354 jours) du calendrier solaire (365 et des bricoles) - soit, dans la conception pré-chrétienne du temps, la période nécessaire à la renaissance du Soleil. Ces 12 jours sont alors une période critique, où le monde est la proie des démons venus restaurer le chaos primitif, jusqu'à ce que le soleil renaisse et dissipe enfin les ténèbres originels. Si l'on applique ce calendrier au Christ, l'évidence saute aux yeux : 12 jours après sa naissance, Jésus Christ se révèle dans sa messianité, à travers l'adoration des Rois Mages qui le reconnaissent comme "Roi". Ce qui tombe d'autant mieux que, le 6 Janvier, il y a un paquet de fêtes païennes à christianiser ! Et, tout comme les dignitaires chrétiens ont fait coïncider la célébration de Noël avec les Saturnales afin d'intégrer cette fête religieuse aux coutumes romaines, sans doute ont-ils instauré l’Épiphanie le 6 Janvier avec un but identique, ce qui était d'autant plus que facile que les convergences symboliques étaient nombreuses : toutes ces fêtes de la renaissance et du renouveau collaient parfaitement à l'esprit de l’Épiphanie.


Les Rois Mages. (Santa Maria Assunta, Torcello.)

                                        Pierre Nyst suggère une autre idée, très intéressante et ma foi fort judicieuse  : "Une autre piste à laquelle j'avais pensé est celle de la dérive du calendrier julien, qui explique déjà la différence de date de la célébration de Noël entre les Églises catholique (25 décembre grégorien) et orthodoxe (25 décembre julien): à l'époque de la réforme grégorienne, le 25 décembre julien correspondait au 6 janvier grégorien; en aurait-ON profité alors pour déplacer le jour de la Galette au 6 janvier ?"  Voilà qui me parait très juste, et nos deux hypothèses présentant l'avantage de ne pas s'exclure l'une l'autre, nous n'aurons pas à trancher ! La remarque, cela dit, est pertinente et pleine de bon sens : il n'y a peut-être pas à chercher plus loin. 
 
                                       Quoi qu'il en soit, la célébration de l’Épiphanie prit rapidement de l'importance, au point que l'Empereur Julien l'Apostat (331-363) dissimule son renoncement au Christianisme justement en se pliant à la coutume :
"Il avait depuis longtemps renoncé au christianisme, et, comme tous les adorateurs des anciens dieux, se livrait aux pratiques des augures et des aruspices; ce qui n'était su que d'un petit nombre de confidents intimes. Du secret effectivement dépendait sa popularité. Aussi feignait-il de rester attaché à ce culte; et pour mieux dissimuler son changement il alla jusqu'à se montrer dans une église le jour de la fête appelée Épiphanie, que les chrétiens célèbrent dans le mois de janvier, et se joignit ostensiblement aux prières publiques." (Ammien Marcellin, "Histoire De Rome", XXI - 2.5)

Statue dite de Julien L'Apostat. (Apparemment, il s'agirait plutôt d'un prêtre de Sérapis...)

                                        Mais la galette, dans tout ça ? Nous avons déjà vu que son lien avec les Saturnales était indéniable. Mais les coutumes relatives aux Saturnales ont essaimé dans plusieurs fêtes chrétiennes, comme Noël ou le Carnaval. Pourquoi, donc, le gâteau romain se retrouve-t-il catapulté au 6 Janvier ? Là, je n'ai aucune preuve, mais j'émettrai une hypothèse éclairée : à mon humble avis, c'est encore un coup de ces mêmes chrétiens qui ont déplacé la coutume afin de rapprocher le "Roi" choisi parmi les esclaves des "Rois Mages", de façon à ce que l'analogie fasse son chemin dans la tête de ces fichus païens ! J'ignore ce que vous en pensez mais, pour ma part, je trouve que la supposition se tient. Surtout si l'on considère que les Mages en question ont été élevés au rang de Rois vers la fin du IVème siècle, soit à peu près à l'époque de l'interdiction des fêtes païennes...

                                        Reste que notre galette se distingue des gâteaux et brioches de nos voisins - au point que nos amis anglophones la désigne parfois sous le nom de "french king cake". Cette spécificité remonte au XIVème siècle et l'initiative viendrait des chanoines de Besançon. Ces braves religieux avaient pris l’habitude de désigner à chaque Épiphanie un nouveau maître de chapitre, qu'ils tiraient au sort en dissimulant une pièce dans un pain. Puis plus tard dans une brioche - au Diable le péché de gourmandise ! La coutume se popularisa rapidement, et le Peuple adopta ce "gâteau des Rois". Les boulangers, flairant le bon filon, s'en emparèrent bientôt en façonnant les galettes que nous dégustons encore aujourd'hui.

"Le Gâteau Des Rois" (Jean-Baptiste Greuze.)

                                        Pour finir, un mystère demeure néanmoins quant à ce fameux gâteau des rois : comment faire pour éviter de tomber sur la fève en coupant la galette, ce qui m'arrive systématiquement ?!! Et là, franchement, je donnerais cher pour avoir la réponse ! Si vous avez une astuce - ou éventuellement d'autres précisions à apporter sur l'origine de l’Épiphanie - n'hésitez pas à laisser un commentaire, ou à me contacter.



2 commentaires:

Nicolas a dit…

Bonsoir,
je découvre votre site que je trouve fort bien troussé et renseigné. C'est un vrai bonheur d'y picorer dans les sujets les plus éclectiques.
Je me permets de déplorer dans l'article du 13 janvier 2013, Galette des rois...., l'utilisation de l'épithète " apostat " appliqué à l'empereur Julien. Il s'agit d'une forme de dénigrement appliquée sciemment par les chrétiens revanchards contre sa volonté de réhabiliter les anciennes religions. Soit-dit en passant l'adjectif païen, renvoyant aux pratiques dévoyées des paysans, va dans le même sens, même si cette étymologie est débattue.

Sur la vie de ce sage, que Voltaire surnommait " le philosophe " je vous conseille, si vous ne la connaissez pas, la biographie romancée de Gore Vidal " Julien ".

Continuez à nous enchanter avec vos billets pleins de verve et de fraîcheur.
Nicolas

FL a dit…

Bonjour, et merci beaucoup d'avoir pris le temps de laisser un commentaire. Je comprends tout à fait votre remarque sur l'utilisation du terme "apostat", d'autant que j'ai une grande admiration pour l'Empereur Julien... Disons que j'ai cédé à la facilité, en reprenant un adjectif qui permet immédiatement de resituer le personnage. Mais vous avez raison lorsque vous soulignez la volonté de dénigrement des Chrétiens à son encontre.

Concernant l'excellent livre de Gore Vidal, il me semble avoir posté une mini-chronique quelque part (Je l'ai retrouvée ! Ici , lorsque j'avais publié toutes les critiques faites pour Livrenpoche.)

En tous cas, j'ai pris bonne note de votre réserve, et j'essayerai de me surveiller et de rendre justice à ce païen de Julien - mot qui n'a rien de péjoratif sous ma plume (ou mon clavier). :-)