vendredi 20 avril 2012

Le cursus honorum : le parcours du combattant... ou plutôt du Sénateur !

                                        Je ne vous apprends rien : ce week-end a lieu en France le premier tour de l'élection présidentielle. Scrutin, mandats, campagne électorale... Et dire que je me demandais pourquoi l'évènement m'avait donné envie de vous parler du cursus honorum ! L'expression vous évoque peut-être vaguement quelque chose : le cursus honorum, que l'on pourrait traduire par "succession des honneurs", c'est le chemin balisé, les étapes obligatoires pour quiconque souhaite entrer dans la carrière publique. Dans son "Dictionnaire Amoureux de la Rome Antique" (éditions Plon), Xavier Darcos le compare fort justement à une sorte de jeu de l'oie du pouvoir : la formule me plait, et je n'aurais pas trouvé mieux !

                                        En effet, un citoyen romain ne peut prétendre occuper n'importe quel poste dans la magistrature publique. Outre les conditions indispensables d'âge, de fortune et de naissance, toute ascension se fait dans un ordre bien précis, selon une hiérarchie fixée en 180 avant J.C., qui a cependant connu de notables évolutions au fil des siècles. La principale réorganisation est due à ce brave Auguste qui, après les guerres civiles, abaisse notamment l'âge à partir duquel chaque fonction peut être briguée et fixe à 600 le nombre de Sénateurs - auquel peut se présenter chaque magistrat sortant (à condition de posséder un minimum d'un million de sesterces.) De plus, dès lors, l'Empereur ne se privera pas d'accorder des dérogations à ses proches, et de nommer des hommes selon son bon vouloir.


L'Empereur Auguste.

                                          Mais en attendant, revenons au début de l'Empire : les hommes issus des familles nobles entrant dans la carrière sénatoriale doivent occuper toute une série de postes et, théoriquement, ils sont élus par les différentes assemblées. Je précise "théoriquement", car dans la pratique, il arrive fréquemment sous l'Empire que les charges soient attribuées par l'Empereur himself ou par son entourage, en échange d'espèces sonnantes et trébuchantes... (C'est le cas, par exemple sous Vespasien ou Commode). Avant tout, il faut remplir un certain nombre de conditions pour être éligible : être citoyen romain, appartenir à la classe équestre et avoir effectué son service militaire en tant que cavalier (ce qui nécessitait une fortune d'au moins 400000 sesterces.) Les mandats sont attribués pour un an, de sorte que les campagnes électorales sont quasi permanentes : quand on voit l'ambiance chez nous en ce moment, voilà qui laisse songeur !

Les mandats successifs que doit briguer notre citoyen romain sont les suivants :

1) Questeur (quaestor) - à partir de 30 ans, puis 25 ans sous le principat. Cette magistrature est généralement exercée par un ancien tribun militaire. Le questeur est en charge du trésor public : il collecte l'impôt, gère les dépenses, éventuellement la trésorerie d'une province et rémunère l'armée. Ils sont au nombre de 20 chaque année - puis 70 ultérieurement, l'étendue de l'Empire nécessitant davantage de magistrats . Le poste de questeur est un prérequis indispensable pour pouvoir ensuite se présenter au tribunat de la plèbe (voir l'article sur Tiberius Gracchus), bien que cette charge soit purement honorifique sous l'Empire.

2) Edile (aedilis) - à partir de 36 ans, puis 27 ans sous le principat. Étape facultative, il fallait néanmoins avoir été questeur pour pouvoir y prétendre. L'édile est à la tête de l'équivalent de la police municipale (petite délinquance, vols, flagrants délits...) et est en charge de l'entretien de la voirie, de la distribution du blé, de l'organisation des jeux, etc. Ils sont au nombre de 4 : les édiles curules élus par les comices tributes, et les édiles plébéiens par les conciles... plébéiens ! Ils bénéficient de l'inviolabilité.

3) Préteur (praetor) - à partir de 40 ans, 30 ans sous le principat. Leur nombre varie au fil du temps : 8 sous Sylla, 16 sous César, 12 au début de l'Empire, ils ne sont par exemple plus que 6 en 241. Il en existe de deux sortes : les préteurs urbains et les préteurs pérégrins. Garants de la justice et détenteurs de l'autorité militaire (imperium), ils gèrent les affaires entre citoyens romains dans le premier cas, et celles impliquant un ou des étrangers dans le second. Le préteur urbain communique également aux Consuls les décisions du Sénat, et peut les remplacer en cas d'absence. Élus par les comices centuriates, les préteurs disposent de l'imperium, peuvent prendre les auspices majeurs et sont précédés de licteurs. Un préteur pourra, à l'issue de son mandat, devenir propréteur - le suffixe -pro indiquant qu'il conserve les pouvoirs et les honneurs liés à sa précédente fonction - et devenir gouverneur d'une province mineure ou légat (commandant) de légion.

4) Consul (bin, consul !) - à partir de 43 ans, 33 ans sous le principat. A l'origine, le  poste de consul a été crée en 509 avant J.C., lors de la chute de la monarchie et l'établissement de la république. Ils sont au nombre de deux, élus par les comices centuriates. Le plus haut magistrat de l’État, tant dans le domaine civil que militaire, lui aussi détenteur de l'imperium, il a le droit de prendre les auspices et est précédé de 12 licteurs. Le consul convoque et préside les réunions du Sénat, les comices curiates et centuriates, peut intervenir en justice et commande les armées. Il donne également son nom à l'année. Chaque consul peut opposer son véto aux décisions de son collègue. Au terme de son mandat, il peut devenir proconsul, ce qui lui permet de devenir gouverneur d'une province importante, comme la Grèce par exemple. Il peut aussi devenir préfet de la ville (c'est-à-dire chargé du maintien de l'ordre public à Rome). Ancien consul, le censeur a quant à lui la charge de dresser la liste des membres du Sénat.
Une fois son mandat accompli, un consul doit attendre 10 ans minimum pour briguer un second mandat. (Enfin, logiquement... Parce que Marius ou Cinna, par exemple, ne s’embarrassent pas de la loi et se font élire plusieurs années de suite !) Néanmoins, sous l'Empire, l'élection n'est plus qu'une formalité et c'est le plus souvent l'Empereur qui nomme le consul - voire, qui s’octroie lui-même (ou conseille fortement aux Sénateurs de lui octroyer...) la fonction. Et inutile de préciser que, dans ce cas, la limitation suscitée compte pour des prunes :  Domitien, consul 10 fois en 16 ans, ne me contredira pas ! Ce n'est plus, de toute façon, qu'un titre honorifique, l'Empereur détenant dans les faits tous les pouvoirs.


Pièce romaine représentant la chaise curule, attribut des magistrats détenant l'imperium.

                                        Au IVe siècle, toutes ces magistratures ne correspondront plus qu'à des titres, vidés de toute substance : les postes importants ne dépendront plus du cursus honorum ou de l'appartenance à une classe sociale. Constantin Ier, par exemple, ne nommera plus que des consuls à titre purement honorifique, et laissera au Sénat le soin de désigner questeurs, prêteurs, etc. Le cursus honorum aura vécu.

                                        O.K., je le reconnais : ça fait beaucoup d'informations à assimiler. D'autant plus que des notions comme l'imperium, les comices ou le légat sont peut-être assez floues dans votre esprit... Pas d'inquiétude, j'aurais l'occasion d'y revenir ! En attendant, souvenez-vous donc simplement de l'ordre dans lequel les magistratures devaient être accomplies et de leur fonction principale :

Questeur - trésor public.
Édile (facultatif) -
police municipale.
Préteur -
justice.
Consul -
plus haute magistrature sous la république, titre honorifique sous l'Empire.

Si vous avez retenu ça, vous avez compris l'essentiel. Et vous serez un peu plus savant au moment de glisser votre bulletin dans l'urne !


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