mercredi 10 octobre 2012

Vêtements féminins romains : stola, palla, etc.


                                        La dernière fois, je vous ai parlé des vêtements des Romains ; dans cette deuxième partie, nous allons voir quels sont ceux portés par les femmes. Comme je l'ai déjà précisé dans mon précédent article, le costume des premiers temps est le même pour les deux sexes, les hommes comme les femmes revêtant la toge. Toutefois, dès la République, elle devient un habit exclusivement masculin - seules les prostituées la portent encore. Les femmes convenables, elles, jettent sur leur tunique une stola, pièce de tissu lâche qui devient l'équivalent féminin de la toge. Ainsi, par un étrange renversement, la toge qui témoigne de la respectabilité et du statut du citoyen romain mâle est-elle une marque de flétrissure pour la femme : les prostituées des rues sont obligées de porter une toge de laine grossière qui atteste de leur profession, et il semble même que certaines épouses adultères aient été forcées de porter le même vêtement, comme preuve de leur dépravation.

                                        Notons également qu'il n'existe pas, dans l'habillement féminin, le même genre de distinction que chez leurs homologues masculins, dont les vêtements permettent facilement de déterminer le statut social. Le seul véritable élément est encore la stola, qui indique qu'une femme est mariée, sans pour autant donner d'indication quant à sa fortune ou son statut social. Hormis la qualité du tissu, les vêtements se ressemblent énormément d'une classe sociale à l'autre, ne présentant que d'infimes variations de forme ou de couleur. Ce qui ne laisse que peu de marge de manœuvre pour se distinguer - mais l'inventivité féminine ne date pas d'hier, et la coiffure, le maquillage et les bijoux jouent donc un rôle important dans la mode.

Les sous-vêtements.

 

Mosaïque sicilienne - IVème siècle.

Les femmes portent la même pièce de tissu que les hommes, le subligaculum, mais aussi parfois une brassière, simple bande nouée autour du corps, au-dessous (fascia pectoralis) ou le plus souvent par-dessus la tunique (strophium, mammillare, cingulum). Pour les plus aisées, on pense que ces sous-vêtements étaient en lin - les productions espagnole, syrienne et égyptienne étant particulièrement prisées pour leur qualité.

 

 

Subligaculum, museum of London. (source : wikipedia)

 

 

La tunique.


                                        La tunique est également un élément de l'habillement féminin, avec quelques différences par rapport au vêtement masculin. Elle est plus longue, atteignant parfois le sol, et possède souvent des manches longues. Il faudra attendre le IIIème siècle après J.C. pour qu'il en aille de même pour les tuniques masculines : avant cette période,  les manches longues étaient jugées trop féminines pour un homme. Les tuniques sont fabriquée dans différents types de tissus, et teintes dans des couleurs variées en fonction du statut et de la fortune de leur propriétaire : le plus souvent de couleur vive, le matériau utilisé est en général très léger. (Lin ou soie pour les plus riches.)

                                        Les tuniques (tunica interior) portées par les femmes se présentent principalement sous deux formes, sortes de longues chemises toutes deux empruntées aux Grecs :

  • le peplos, deux pièces de tissu rectangulaires cousues ensemble latéralement, les ouvertures supérieures formant des plis à l'avant et l'arrière. On la passait par la tête et on l'attachait avec deux grandes épingles, de manière à former une sorte de robe sans manche. On serrait une ceinture à la taille par-dessus ou en dessous des plis.
  • le chiton, la tunique la plus courante. Ce vêtement, pourvu de manches dont la longueur dépend de la largeur de la pièce, est composé de deux morceaux de tissu cousus ensemble par le haut, laissant juste la place nécessaire aux emmanchures. Enfilé par la tête, il est boutonné ou attaché par des broches ou  des fibules, fixées à intervalles sur les bras et les épaules. Le tout forme ainsi une robe, dont le style varie, et qui peut être ceinturée sous les seins, à la taille ou aux hanches.   
Statue de femme en peplos.


                                        Les petites filles se contentent la plupart du temps de cette tunique, blanche ou décorée de façon très simple, serrée à la taille. Lors d'évènements importants, il arrive qu'elles revêtent par-dessus une seconde tunique, plus longue, descendant jusqu'aux chevilles.

La Stola.


                                        Une fois mariée, la Romaine porte, par-dessus la tunique, la stola : cette pièce, longue et lâche, sans manche, est formée de deux segments rectangulaires de tissu, attachés à l'épaule par des fibules ou des boutons, de manière à permettre de s'y draper facilement. Confectionnée en laine, le bas en est souvent décoré d'une large bande ornementale (instita). Il arrive parfois que la stola soit plus courte que la tunique, laissant apparaître le vêtement inférieur (et c'est, à coup sûr, la preuve de la richesse de notre Romaine.)

                                        La stola atteste du statut marital : depuis la République, la loi romaine la réserve aux épouses. Toutefois, ce n'est pas une obligation, et certaines lui préfèrent d'autres vêtements, plus flatteurs pour la silhouette ou plus à la mode (voir ci-dessous). Mais la plupart l'adopte au moins en public, car la décence l'impose, et porter la stola est une façon de proclamer  qu'on est une femme mariée, respectable et attachée à la tradition. Livie, femme de l'empereur Auguste, est ainsi toujours représentée vêtue de la stola.

Manteaux et  palla.


Stola et palla. (Source : Liana's paperdoll boutique.)

                                        Pour se protéger des intempéries, les femmes revêtent, dans les premiers temps de la république, le ricinium, un simple carré de tissu couvrant les épaules. Plus tard, il est remplacé par la palla, qu'on jette par-dessus la stola lorsqu'on sort de la domus. La palla est une pièce d'étoffe ressemblant à une longue écharpe oblongue descendant jusqu'aux genoux, que l'on arrange à son gré. On la porte comme une cape ou un manteau, on s'en couvre la tête (voir ci-dessous) ou s'en drape en la faisant passer sur l'épaule gauche, sous le bras droit puis par-dessus le bras gauche. Mais en réalité, la palla ne répond à aucun critère de forme ou de taille, de sorte que le mot peut désigner une large pièce de tissu à enrouler autour du corps et faisant office de manteau, aussi bien qu'une méchante écharpe. Outre les manteaux déjà cités dans l'article consacré à l'habillement masculin, signalons l'impluviala, sorte de manteau de forme carré, porté en cas de pluie, et la ralla, manteau de gaze clair et léger.

Les robes.


                                        Mis à part la tunique, il existe des robes et de toutes sortes, dans tous les genres de tissus. Dès le début de l'Empire, nombreuses sont les Romaines qui ne portent plus l'austère stola que lors des cérémonies officielles, et se hâtent de la quitter en privé. Les femmes, même les plus conventionnelles, ont adopté les robes légères et vaporeuses des courtisanes, plus sensuelles et plus flatteuses. En outre, ces tenues présentent l'avantage d'offrir quelques artifices propres à dissimuler les défauts : les plis d'une robe tombant sur les pieds feront paraître plus grande, les vêtements rayés de couleurs vives rehaussent un teint trop pâle, une robe en tissu épais apporte du volume, une lanière de cuir enroulée autour de la cheville la fait paraître plus ronde... De même, les teinturiers de Rome ne manquent pas d'idées, et ils mettent au point des techniques permettant de proposer des couleurs comme le rose pâle, le violet, le bleu clair, le jaune vif, le vert amande, etc. Plus subtil encore, on crée des motifs comme le cumatile, mélange de diaprures vertes, blanches et bleues qui évoquent le mouvement des vagues à chaque geste, ou le plumatile, tissu tacheté qui produit l'illusion de plumes d'oiseaux.

"Que dirai-je des vêtements ? Que m'importent ces riches bordures ou ces tissus de laine deux fois trempés dans la pourpre de Tyr ? Il est tant d'autres couleurs d'un prix moins élevé ! Pourquoi porter sur soi tout son revenu ? Voyez ce bleu azuré, pareil à un ciel pur et dégagé des nuages pluvieux que pousse le vent du midi; voyez ce jaune d'or, c'est la couleur du bélier qui jadis sauva Phryxus et Hellé des embûches d'Ino; ce vert a reçu son nom de l'eau qu'il imite : je croirais volontiers que c'est là le vêtement des Naïades. 
Cette teinte ressemble au safran; c'est celle du manteau de l'Aurore, lorsque, humide de rosée, elle attelle ses brillants coursiers. Là vous retrouvez la couleur du myrte de Paphos, ici l'améthyste pourprée, le rose tendre, la nuance des plumes de la grue de Thrace, ailleurs la couleur de tes châtaignes, ô Amaryllis ! celle de tes amandes, et celle de l'étoffe à laquelle la cire a donné son nom. Autant la terre produit de fleurs nouvelles, lorsque l'hiver paresseux s'éloigne, et que sous la tiède haleine du printemps la vigne se couvre de bourgeons, autant et plus encore la laine reçoit de teintures variées. Choisissez avec goût; car les couleurs ne conviennent pas également toutes à toutes; Le noir sied à la blonde : il embellissait Briséis; elle était vêtue de noir, lorsqu'elle fut enlevée. Le blanc convient aux brunes : le blanc, ô Andromède ! te rendait plus charmante, et c'était la couleur de ta parure, lorsque tu descendis dans l'île de Sériphe." (Ovide, "L'Art d'Aimer", III - 169.)


Coiffure, chapeaux et accessoires.

 

Livie, détail de l'Ara Pacis.
Excepté en cas de deuil, où les cheveux sont portés lâchés et décoiffés, il est  inconvenant pour une femme de se montrer tête nue en public : seules les courtisanes sortent en cheveux. La digne matrone romaine se couvre quant à elle d'un pan de la palla. Pour se protéger de la pluie, elle porte la paernula, comme les hommes. Contre le soleil par contre, les femmes ne disposent pas de chapeau : dès la fin de la République, elles utilisent des ombrelles, tenues au-dessus de leur tête par des esclaves. Elles possèdent également des éventails en plumes d'oiseaux : les modèles les plus luxueux sont constitués de plumes de paon, attachées à de minces lanières de bois reliées à une poignée. On en trouve aussi fabriqués en lin tendu sur un cadre. Pour essuyer la sueur, hommes et femmes utilisent des mouchoirs de toile fine. Et ces dames tiennent aussi dans les mains, afin de les garder fraîches par les grosses chaleurs, des boules d'ambre ou de verre.

En ce qui concerne l'évolution de la coiffure, j'ai déjà consacré un article au sujet sur ce blog, ici.

Les chaussures.





Calcei. (Photo Jeff Godfrey)
 Les chaussures sont à peu près les mêmes que celles utilisées par les hommes, quoi que plus légères et dans un cuir moins épais. La plupart du temps cependant, les femmes portent des calcei de cuir très fin, souvent blancs, à l’extérieur ; et à l'intérieur de la domus, des solae ou des socii. (voir l'article sur l'habillement masculin, ici.) Il existe même des compensées, chaussures aux semelles épaissies pour donner l'illusion de la grandeur.  Plus généralement, les chaussures sont fabriquées dans une grande variété de matériaux et de couleurs, une fois encore en lien direct avec la fortune et donc le statut social. Le cuir reste cependant la matière la plus courante : elle présente notamment l'avantage d'être facile à teindre - les couleurs les plus vives étant les plus difficiles à obtenir, et donc les plus chères. En hiver enfin, les chaussures peuvent être munies de semelles de liège. A noter que les Romaines ne portent pas de bas ou de collants, mais enroulent des bandes de laine autour de leurs jambes lorsque le climat se montre trop rigoureux.


Le maquillage.


                                        Certaines choses ne changent jamais. En l'occurence, il semble que les Romaines aient eu un goût prononcé pour le maquillage et les produits de beauté : mélange de poudre de craie et de céruse pour le visage, lie de vin en guise de rouge à joues et à lèvres, cendres ou antimoine pour noircir les sourcils et les cils, de l'émail pour faire briller les dents... Sans même parler des légendaires bains de lait d'ânesse de Poppée, épouse de Néron ! Je ne m'étends pas sur le sujet aujourd'hui : moi-même amatrice de cosmétiques, vous vous doutez bien que je compte y consacrer davantage que quelques lignes !



Diptyque de Stilicon, montrant les costumes de l'Antiquité tardive.

                                        A l'instar des coiffures féminines, qui ont considérablement changé au cours de l'antiquité romaine, le costume traditionnel féminin a connu quelques évolutions - à commencer par la tunique, qui prend plus d'ampleur que son homologue masculine. Aux origines de Rome et pendant longtemps, la rigueur et la sévérité de l'habillement ne faisaient que traduire l'état d'esprit d'un peuple traditionaliste, soucieux de maintenir une apparence de discipline et pour qui la fantaisie individuelle ou les innovations risquaient d’entraîner l'ensemble de la société sur la pente du relâchement des mœurs et de la décadence. Mais avec l'essor de Rome et les importations de plus en plus nombreuses en provenance d'Europe et d'Asie, les premiers effets du luxe se font sentir, et l'austérité du costume féminin est assez rapidement compensé par le choix d'étoffes luxueuses (sous le bas-empire, la stola disparaît, remplacée par des robes longues et des tuniques richement brodées, le plus souvent en soie), la variété des couleurs et l'emploi de nombreux bijoux : bagues (anulus), bracelets (armilla), boucles d'oreilles (inaures), colliers (monile) et chaîne (torques). J'aurai l'occasion de consacrer un article détaillé aux bijoux arborés par les romaines. Et comme je viens déjà de vous promettre un billet consacré au maquillage, ça me laisse pas mal de boulot !

6 commentaires:

Anonyme a dit…

Super pratique!
Je vais bientôt partir avec mon collège en italie! Et on va faire une genre de reconstitution de la vie des romains, et on doit se déguiser! Et je voulais savoir si je mets un genre de draps tout blanc (je retiens pas les noms du tout!) et une stola (?(rouge par exemple)) avec des scandales, tu penses que sa ira?
Merci d'avance!

FL a dit…

Ravie d'avoir pu t'être utile ! Et je trouve ça génial que tu puisses participer à une reconstitution. Si ce n'est pas trop te demander, est-ce que tu pourras m'envoyer quelques photos ? Je suis curieuse !

En ce qui concerne ton costume de romaine, je pense en effet que l'idée d'un drap, d'un grand châle et de sandales est excellente, et que ça fera très bien l'affaire. J'ai trouvé un lien : ici qui pourra sûrement t'aider. On y trouve plein d'astuces pour se déguiser facilement en romain(e).

En tous cas, amuse-toi bien ! Valete.

Fanny

Anonyme a dit…

Cool, merci!
Oui je ferais des photos!

FL a dit…

J'ai hâte de voir ça : je suis sûre que tu vas assurer ! :-)

Anonyme a dit…

Bonjour,
Serait-il possible de connaitre la période(royauté, impériale...)
de ces habits?
Merci au revoir

FL a dit…

Bonjour,

Pour répondre à votre question, les vêtements féminins ont évolué au fil des époques mais, globalement, on retiendra que sous la Royauté, les femmes portent des habits très semblables à ceux des hommes ; la toge est remplacée par l'ensemble tunique / stola / palla dès la République ; peu d'évolution sous le Haut-Empire mais la stola est peu à peu abandonnée, et sous le Bas-Empire, la tunique, richement brodée, devient le vêtement de dessus et se transforme en "robe". Les illustrations de cet article sont centrées sur le Haut-Empire - à l'exception du diptyque de Stilicon, qui date de l'Antiquité tardive. J'espère vous avoir renseigné...