L'Empereur Auguste en Grand Pontife. (Photo Mary Harrsch.) |
Quelques généralités sur les pontifes.
Étymologiquement, le mot pontife désigne "celui qui fait un pont". Reste qu'on peut l'interpréter de deux manières : soit dans un sens symbolique, qui fait du pontife l'homme responsable du lien entre les hommes et les Dieux ; soit dans un sens littéral, puisque les pontifes étaient peut-être chargés, aux origines de Rome, de l'entretien du pont sacré, le Sublicius. Il existe cependant d'autres hypothèses, selon lesquelles le mot serait une déformation de "pompifex" (chef de processions publiques), ou encore issu d'un mot étrusque ou sabin désignant un prêtre.
Fondé par le deuxième roi de Rome, Numa Pompilius, le collège des Pontifes (Collegium Pontificum) comptait à l'origine 3 ou 5 membres, et remplissait sans doute un rôle de conseil en matière religieuse. Les pontifes étaient alors élus pour cinq ans. Tite-Live raconte que Numa avait élaboré dans le détail les rituels religieux, du moment des sacrifices à la manière dont ils devaient être effectués, en passant par la surveillance des fonds, l'autorité de l’État sur les pratiques publiques et privées, l'instruction de la population ou l'expiation des prodiges. Numa Pompilius, qui a consacré le premier autel à Jupiter Elicius sur la colline de l'Aventin, passe pour le fondateur de la religion romaine : il aurait transmis ses instructions au premier Grand Pontife, Numa Marcius.
Sacerdoce le plus important de l'antiquité romaine, le collège des pontifes a notablement évolué au fil du temps. Il était composé des Pontifes, du Rex Sacrorum (fonction créée à la chute de la monarchie en -510, pour remplacer le roi dans les offices religieux), des flamines affectés au culte d'un seul Dieu du panthéon romain et des Vestales.
Au départ choisis exclusivement parmi les Patriciens - jusqu'à ce que la Lex Ogulnia (300 avant J.C.) n'ouvre la fonction aux plébéiens - les pontifes occupèrent bientôt la charge à vie. Ils siégeaient dans la Regia, qui faisait autrefois partie de l'ancien palais royal. Pendant de courtes périodes, ils ont été élus par les comices tributes mais, dans la plus grande partie de l'Histoire de Rome, ils étaient recrutés par cooptation. Leur nombre passa à 9 sous le Lex Ogulnia, puis 15 sous Sylla en 81 avant J.C. et 16 à l'époque de Jules César.
Denier de Jules César. Sur la droite figurent le Simpulum, l'aspergillum, la securis et l'apex. |
Sur les pièces de monnaie, les pontifes sont représentés avec divers insignes, figurant les instruments des cultes et sacrifices rituels : la plupart du temps, seul le simpulum (sorte de cuillère à long manche servant à puiser le vin lors des libations) apparaît, mais figurent aussi parfois le secespita (couteau à lame de fer), le securis, l'apex (bonnet de cuir), et une sorte de goupillon appelé ultérieurement l'aspergillum.
Le Simpulum. |
Rôle des pontifes.
Par rapport à l'idée que l'on se fait généralement des religions, celle pratiquée par les Romains avait ceci de particulier qu'elle consistait moins en un ensemble de croyances et de dogmes qu'en une série de prescriptions et de pratiques rituelles, indispensables à la bonne marche de la vie publique comme de la vie privée et garantes de la pax deorum, la paix entre les Dieux et les hommes. En un sens, la religion romaine tenait presque de la superstition, au point qu'on recommençait depuis le début le rituel ou la cérémonie, au moindre manquement lors de son exécution, et ce autant de fois que nécessaire. C'est dire si le rôle des pontifes était primordial, puisque leur tâche principale était justement de maintenir cette pax deorum. Pour résumer, ils étaient les représentants de toutes les divinités reconnues à Rome et veillaient à la bonne observance des pratiques religieuses dans toutes les cérémonies, publiques comme privées.
Monnaie à l'effigie de Tibère. (au revers, l'inscription "Pontif. Maxim.") |
Parmi les diverses fonctions qu'ils remplissaient, certaines étaient sacrificielles ou rituelles : ils consacraient les Temples et décidaient de la tenue des Jeux séculaires, par exemple. Cependant, leur véritable pouvoir résidait dans l'administration et l'interprétation du divinum jus ou droit religieux : les décisions des pontifes formaient un corpus qui résumait le dogme de la religion romaine, et affectait donc l'ensemble de la société. Les pontifes réglaient le culte public et ordonnaient les cérémonies sacrées; géraient le calendrier et déterminaient les jours néfastes ou fastes ; conseillaient le Sénat dans les affaires religieuses ; assistaient les magistrats dans leurs devoirs cultuels ; décidaient de la consultation des Livres Sibyllins et de la tenue de cérémonies expiatoires ; réglaient les différends en matière de religion; châtiaient les fautes contre les divinités adorées dans l'Empire; tenaient les archives en consignant les faits notables dans les Grandes Annales; surveillaient la morale publique, etc.
Le grand pontife.
Le collège des pontifes était présidé par le Pontifex Maximus (littéralement "Le plus grand pontife"), qui occupait le plus haut poste dans la religion d’État. Chargé de surveiller les activités des autres pontifes, il était au départ frappé par l'interdiction de quitter l'Italie, tabou sacré qui finit cependant par tomber. Il résidait dans la Domus Publica, entre la maison des Vestales et la Sacra Via , à proximité de la Regia sur le Forum . Il fut d'abord nommé à vie par ses pairs, puis élu par le peuple via l'assemblée des Comices. Cependant, les pontifes gardèrent toujours la main sur cette élection...
Vestale flagellée par le Grand pontife. (© Palazzo Milzetti - Faenza) |
Le grand pontife était beaucoup plus qu'un simple prêtre. Nous avons vu les immenses prérogatives détenues par les Pontifes : le premier d'entre eux exerçait certes une autorité religieuse (Il présidait les comices chargées d'élire les prêtres et les Vestales, nommait les flamines et le rex sacrorum, et détenait toute autorité sur l'ensemble du clergé.) mais aussi et surtout politique. Outre le fait qu'il pouvait cumuler le sacerdoce avec un mandat, un seul exemple suffira à s'en convaincre : le grand pontife était responsable du calendrier romain, auquel il pouvait ajouter des mois intercalaires afin de synchroniser l'année civile avec les saisons. Or, le mandat d'un magistrat correspondant justement à une année civile, un pontife avait la possibilité de prolonger l'année lorsque l'un de ses alliés politiques ou lui-même était au pouvoir, ou au contraire refuser de l'allonger lors du mandat d'un adversaire. On imagine aisément les abus possibles, et surtout l’intérêt que pouvait revêtir la charge eux yeux d'une personnalité de premier plan. Jules César, notamment, devint pontife en 73 avant J.C. et grand pontife dix ans plus tard - charge qu'il occupa jusqu'à sa mort.
Le grand pontife sous l'Empire.
Suite à l'assassinat de Jules César en 44 avant J.C., son allié Lépide obtint la charge de grand pontife. Personnage falot, il tomba en disgrâce après la guerre entre Octave / Auguste et Marc Antoine mais, bien qu'exilé par le nouvel Empereur, il conserva la fonction sacerdotale jusqu'à sa mort en 13 avant J.C. Auguste fut alors choisi pour lui succéder. L'Empereur contrôlait donc la vie religieuse officielle et nommait les autres pontifes, de sorte que le bureau impérial avait désormais la main-mise sur l'ensemble de la religion romaine, et l'obtention de la charge et l'accession au sacré collège étaient considérées comme un signe de la faveur impériale.
L'Empereur Auguste procédant à un sacrifice. |
A la suite d'Auguste, la fonction de grand pontife échoira à tous les Empereurs, et perdra graduellement sa spécificité pour devenir un simple titre traduisant l'autorité impériale sur la religion et l'aspect sacré de ses droits et ses pouvoirs. Si, dans les premiers temps de l'Empire, l'attribution de la charge demeura une décision constitutionnelle postérieure et distincte de l'accession d'un homme à la Pourpre, l'Empereur recevra ensuite le titre dès son avènement, en même temps que le reste de ses pouvoirs. La fonction demeure indivisible et unique : en 161 par exemple, Marc Aurèle et Lucius Verus partagèrent le titre d’Empereur, mais seul le premier occupa la charge de grand pontife. En revanche, un promagister exerçait les fonctions de grand pontife en lieu et place des empereurs en leur absence. Il fallut attendre 238 pour que soient nommés deux grands pontifes en même temps : lorsque Balbin et Maxime Pupien devinrent empereurs, la charge et le titre leur furent attribués simultanément. Dès lors, il en fut de même au cours des derniers siècles de l'Empire. Par ailleurs, vers le milieu du III ème siècle après J.C., la diminution progressive des sénateurs païens candidats au collège des pontifes conduisit à un relâchement des règles, en permettant notamment à plusieurs membres d'une même gens d'accéder à la charge.
L'Empereur Gratien. |
Même les premiers empereurs chrétiens, comme Constantin Ier, continuèrent de porter le titre de grand pontife. Les dernières inscriptions faisant état d'empereurs assumant la charge concernent Valentinien I , Valens et Gratien. C'est ce dernier qui abandonna définitivement le titre en 376 ou 382, alors qu'il entendait lutter contre les religions païennes. Après lui, aucun Empereur ne le portera plus.
Du grand pontife au souverain pontife.
En 381, le décret de Théodose Ier fit du christianisme la religion officielle de l' Empire romain. Le mot "pontife" devint alors un terme utilisé pour désigner les évêques chrétiens, y compris l'évêque de Rome. Le titre de "Pontifex Maximus" sera plus tard appliqué au Pape, en tant que "chef" des évêques.
Selon l'Encyclopædia Britannica, le pape Léon Ier (440-461) serait le premier à avoir adopté le titre de "souverain pontife", afin de mettre l'accent sur l'autorité civile de la Papauté et la continuité du pouvoir impérial. Pour d'autres, on devrait cette décision symbolique à Grégoire Ier (590-604), ou encore à Sirice (384-399).
Le Pape Jules III, avec le titre de "Pontifex Maximus". |
Aujourd'hui encore, le titre de Pontifex Maximus ou souverain pontife désigne le Pape, dont le son règne est connu sous le mot de "pontificat". Bien que non inclus dans sa titulature officielle, il est utilisé dans certains documents (comme les encycliques) et apparaît sur des bâtiments ou sur les monnaies papales.
Pièce de monnaie à l'effigie de Benoît XVI, ex-souverain pontife... |
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