mercredi 29 mai 2013

CAPES de Lettres Classiques : Les Langues Mortes Bougent Encore !

                                        Je me fiche de la politique, et je ne suis pas une "pétitionneuse" acharnée ; pourtant je vous invite aujourd'hui à prendre connaissance de la pétition (ici), que j'ai moi-même signée, lancée par Robert Delord, webmestre du site Latine Loquere et enseignant en lettres classiques au collège-lycée de Diois.

                                        A l'heure où la loi Fioraso, autorisant l'enseignement supérieur en langues étrangères, est en discussion à l'Assemblée nationale et fait l'objet d'un vif débat dans les milieux concernés, une autre polémique, plus confidentielle, agite depuis quelques semaines la toile et, bien que modestement, commence à être relayée dans les médias. Il souffle en effet un vent de révolte chez les enseignants en lettres classiques.


La réforme du CAPES.


                                        L'objet de leur colère, la réforme du CAPES de lettres classiques, annoncée par décret le 19 Avril dernier. Résumons brièvement les faits : jusqu'à présent, il existait un CAPES de Lettres Modernes et un CAPES de Lettres Classiques. Désormais, les deux seraient fusionnés en un seul  concours, et les étudiants choisiraient ensuite entre deux options distinctes - lettres classiques ou lettres modernes.

                                        Simple réforme à priori, et le ministère de l’Éducation nationale se défend, dans un communiqué, de vouloir jouer les fossoyeurs de l'enseignement des langues et cultures anciennes : "Le Capes de lettres classiques n’est en aucun cas remis en cause. [...] Au contraire, le nouveau Capes de lettres a conservé toute la part de lettres classiques à l’écrit comme à l’oral dans le cadre de l’option lettres classiques." Dans ce cas, on pourrait s'interroger sur la pertinence d'une  telle refonte... Mais passons.

                                        Car en réalité, cette réforme a priori anodine est bien plus lourde de conséquences qu'il n'y parait. Voilà déjà plusieurs décennies que le Latin et le Grec, relégués au rang de simples options en collège et lycée, sont malmenés par les gouvernements successifs - toute orientation politique mise à part. Étonnant quand on sait que nombreux sont les ministres de la Culture ou de l’Éducation qui, pourtant, ont eux-mêmes reçu une formation de Latiniste, comme par exemple Mme Audrey Fillipetti... Mais, entre des durées de cours réduites, des plages horaires inconfortables (Ah ! Le cours de Latin entre 12h et 14h, ou le Vendredi à 17h !), voire même une limitation du nombre d'élèves dans certains établissements, on en vient à se demander qui veut la peau du Latin et du Grec. Sans même mentionner la Dotation Horaire Globale (DHG), en diminution constante et qui, privilégiant le financement des matières obligatoires, n'accorde plus que des miettes aux enseignements optionnels...



                                        Il y a le feu à la maison "Lettres Classiques", mais cela fait donc bien longtemps que l'incendie s'est déclaré. Reste que la dilution du CAPES de Lettres Classiques dans un CAPES de lettres global allume un nouveau foyer. Pourquoi ? D'abord parce qu'en modifiant le statut des Lettres Classiques, qui passent de filière à simple option, on dévalorise les matières et leur fait perdre en visibilité. Pour reprendre les mots de la CNARELA (Coordination nationale des associations régionales des enseignants de langues anciennes) citée par Rue89, "si l’on veut que des jeunes se destinent à l’enseignement des langues et cultures de l’Antiquité, il faut cesser de leur rendre difficiles d’accès ces enseignements dans le secondaire comme dans le supérieur." J'irai plus loin : si l'on veut éviter que les jeunes ne se ferment à tout un pan de notre culture et de notre identité, il faut leur donner les moyens, l'envie et la motivation d'apprendre le Latin et le Grec.

                                        Le fait de créer deux options distinctes pose également la question du nombre de postes de professeurs de lettres classiques. En effet, l'arrêté stipule que les deux options de ce nouveau CAPES feront l'objet de deux classements distincts, mais omet de préciser s'il existera un nombre de postes précis pour chacune des deux filières, ou un chiffre global aux deux options. De plus, la filière "Lettres Classiques" reste enfermée dans son domaine ("Langues et cultures de l'Antiquité."), tandis que l'étudiant ayant opté pour les "Lettres Modernes" aura le choix entre plusieurs options (Français langue étrangère, littérature et langue françaises, cinéma, théâtre et... Latin pour lettres modernes !) Dans ce dernier cas, il paraît évident qu'un chef d'établissement sera plus enclin à choisir un enseignant susceptible d'assurer des cours de théâtre ou de FLE, plutôt qu'un prof de lettres classiques cantonné à une seule spécialité. Et quel étudiant, aussi motivé soit-il, sera prêt à sacrifier l'assurance d'un poste sur l'autel des langues anciennes ?

                                        On me rétorquera néanmoins que le concours conserve une option Latin dans le cursus "Lettres modernes". Une option, donc facultative, qui ne saurait se substituer à un enseignement spécifique et ne saurait, à mon avis, suffire à former des profs de Latin. Quant au Grec, il disparaît tout bonnement... Plus de prof, plus de cours en collège et lycée et, à terme, de moins en moins d'étudiants susceptibles de s'engager dans cette voie.

Pourquoi appendre le Grec et le Latin ?


                                        A ce stade, je subodore que nombre d'entre vous ne se sentent guère concernés par cette disparition programmée du Grec et du Latin, consécutive à cette dilution du CAPES de lettres classiques. Et quelque part, je peux le comprendre : langues "mortes", le Latin et le Grec passent souvent pour des matières "poussiéreuses", qui n'apportent finalement pas grand-chose dans la formation des élèves ou étudiants. C'est une grave et grossière erreur. J'ai déjà eu l'occasion d'expliquer pourquoi la maîtrise du Latin et du Grec demeuraient, à mon sens, des atouts majeurs à l'heure de comprendre le monde, nos modes de pensées, l'Histoire et la culture qui ont façonné les Hommes que nous sommes aujourd'hui, issus du brassage des civilisations millénaires qui nous ont précédés et nous ont construits. (Voir ici)




                                        Même de façon anecdotique, ces langues anciennes sont présentes dans notre vie quotidienne, qu'il s'agisse du vocabulaire médical, informatique, technique, ou comme source de la plupart des langues comme le Français, l'Allemand, l'Anglais, l'Espagnol, etc. Plus prosaïquement, nous sommes entourés d'allusions à l'Antiquité : nous naviguons sur des "forums" de discussion en buvant du lait Lactel, nous visitons le "Caesars Palace" à Las Vegas avant d'aller admirer le Capitole de Washington, nous plaçons "Spartacus" au panthéon de nos séries préférées en mangeant un Magnum... Autant de références qui démontrent la prégnance des cultures antiques dans notre société. Mais plus sérieusement et au-delà de cet aspect, dont je conviens de la futilité, laissez-moi citer ici le poète sénégalais Léopold Sedar Senghor :
"Les langues à flexion que sont le Grec et le Latin ont essentiellement une syntaxe de subordination, quand nos langues agglutinantes d'Afrique et d'Asie du Sud (...) ont par nature une syntaxe de juxtaposition et de coordination. (...) Ce qui définit le génie latin, c'est son besoin de rationalité et son souci d'efficacité. Rationalité, efficacité, ce sont précisément les exigences de la civilisation moderne."  (L.S. Senghor, "Les Humanités gréco-latines et la Civilisation de l'Universel", cité par le "Petit Dictionnaire Du Latin d'Aujourd'hui.")
Le Latin, donc, comme moyen d'apprendre à structurer la pensée, à se former aux exigences du marché du travail, de l'entreprise et de la société actuelle.

                                        Pour conclure, je me permets de préciser que je n'ai étudié le Latin qu'au collège, avant de l'abandonner au Lycée où, en raison des horaires des cours, il m'était impossible d'en poursuivre l'apprentissage. (C'était Langue vivante 2 ou Latin !) Des années après, en me passionnant pour l'Antiquité romaine, j'ai commencé à lire les traductions des auteurs antiques, et j'ai vite réalisé tout ce que je perdais en étant obligée de faire l'impasse sur les versions originales : la précision du terme, la musicalité de la langue, la structure de la pensée. J'ai donc entrepris de me remettre au Latin, toute seule dans mon coin et, malgré les difficultés, c'est un plaisir inépuisable que de se plonger dans des textes, tâcher d'en découvrir le sens, redécouvrir une pensée millénaire et pourtant toujours actuelle. Je ne suis pas prof, je n'ai aucun intérêt à hurler avec les loups ou à critiquer une initiative qui, finalement, ne me concerne même pas directement. Simplement, je voudrais que les élèves puissent avoir le choix, et qu'ils ne soient pas privés de la joie que me font ressentir Ovide, Martial, Tite-Live, Catulle ou Horace.


                                        C'est la raison pour laquelle j'ai signé la pétition lancée par Robert Delord. C'est une des raisons pour lesquelles vous pourriez la signer. Ou, plus prosaïquement, pour sauver des disciplines indispensables à la construction intellectuelle et sociale des jeunes, futurs acteurs du monde de demain...





LIENS UTILES : 


  • Dossier : La Métamorphose du Capes de Lettres Classiques par Robert Delord et Marjorie Lévêque - ici.
  • Arrêté du Ministère de l’Éducation Nationale : ici.
  • Détails du nouveau CAPES : ici.
  • Lettre ouverte de la CNARELA : ici.
  • Et toujours la site Latine Loquere : ici.

Et surtout, pétition lancée par Robert Delord : ICI.

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