dimanche 20 juillet 2014

Felix Dies Natalis ! Joyeux Anniversaire.

                                        On n'est jamais si bien servi que par soi-même. Si vous avez lu mon profil, vous avez remarqué que je partageais ma date d'anniversaire avec Alexandre le Grand : nous le fêtons tous les deux demain, le 21 Juillet. (Enfin, surtout moi...) Et bien qu'Alexandre soit macédonien, c'est l'occasion rêvée de poser la question suivante : les Romains fêtaient-ils leur anniversaire ?

                                        Mettons fin à cet insoutenable suspense : oui, les Romains fêtaient les anniversaires. (Tant mieux : sinon mon article aurait été trop court...) Pour nous, un anniversaire est synonyme de fête, cadeaux, gâteau et bougies. Plus symboliquement, c'est la commémoration du jour de notre naissance, ou l'occasion de  montrer à ceux que l'on aime que nous sommes heureux qu'ils existent. Mais qu'en était-il dans l'Antiquité ? Et bien, c'était à peu près la même chose - si ce n'est que s'y ajoutait une dimension religieuse, faisant de l'anniversaire la célébration du Genius, sorte d'ange gardien antique.

                                        On ignore quelle civilisation a été la première à fêter les anniversaires, mais l'origine de cette pratique est liée au caractère divin que certaines civilisations prêtaient à leurs dirigeants. Dans de nombreuses cultures, les célébrations étaient d'abord vouées aux divinités, dont on s'assurait ainsi la bienveillance et la protection. Or, le chef, roi ou détenteur du pouvoir étant souvent perçu comme le descendant ou l'émanation de ces mêmes divinités, plusieurs cérémonies lui étaient logiquement dédiées.

                                        Parmi les traces les plus anciennes, les exemples les mieux documentés concernent les Babyloniens, puis par leur intermédiaire les Égyptiens, soit deux peuples versés dans la science de l'astronomie. Ces derniers se basaient sur la disposition des étoiles et leur course céleste pour prévoir entre autres les crues du Nil, décider de l'édification des monuments ou fixer les dates des cérémonies religieuses. De plus, l'astronomie permet d'établir un calendrier précis, prérequis indispensable pour déterminer la date de naissance (et donc d'anniversaire) d'un individu.

Calendrier solaire égyptien - caveau funéraire de Senmout, (©Lessing agenzia contrasto / Milan.)

                                        Comme vous le savez, le Pharaon était perçu comme un Dieu, dont la destinée toute entière pesait sur celles du royaume et de ses sujets. Pour cette raison, le clergé égyptien accordait une importance particulière à la carte astronomique (emplacement des constellations, des planètes, du soleil, etc.) du jour de sa naissance et à son thème astrologique. On célébrait donc  la naissance du Pharaon : le jour était férié, et de gigantesques banquets étaient organisés. Progressivement, la commémoration du jour de naissance s'est étendue à l'ensemble de la noblesse (les classes populaires ne fêtaient pas les anniversaires), mais ne concernait que les hommes - à l'exception de la Reine. Pour la période qui nous intéresse, Plutarque évoque par exemple la fête organisée par Cléopâtre pour l'anniversaire de son amant, Marc Antoine.
"Après avoir célébré, avec une simplicité convenable à sa fortune présente, le jour anniversaire de sa naissance, elle surpassa pour celui d'Antoine l'éclat et la magnificence qu'elle avait mis dans toutes les fêtes précédentes, en sorte que des convives qui étaient venus pauvres au banquet, s'en retournèrent riches. " (Plutarque, "Vie d'Antoine", LXXXI.)

"Le Banquet de Cléopâtre" de Giambattista Tiepolo. (Via Google Art Project.)


                                        C'est encore une fois par le biais de la Grèce antique que les Romains assimilent la célébration des anniversaires. Les Grecs ne fêtaient pas les anniversaires des individus, mais ils croyaient en revanche que chacun était accompagné d'un esprit protecteur, le daemon, présent le jour de la naissance et qui veillait sur lui jusqu'à sa mort. Ce daemon était en relation directe avec la divinité présidant au jour natal, et les hommes se réunissaient dans des groupes ou sociétés pour célébrer chaque mois le jour anniversaire de ces Dieux et Déesses. Les adorateurs d'Artémis, déesse de la lune et de la chasse, célébraient son anniversaire le sixième jour de chaque mois : ils préparaient à cette occasion un gâteau de farine et de miel, de forme ronde pour symboliser la lune. On disposait dessus des bougies, représentant la lumière lunaire... Ce qui doit logiquement vous rappeler quelque chose.



Artémis maniant son arc. (Céramique attique à figures rouges - Museum of Fine Arts de Boston via Theoi.com.)


                                        Les Romains, dont la mythologie est largement inspirée des légendes et croyances grecques, reprennent l'idée d'un esprit protecteur : à Rome, le daemon devient Genius (Génie), sorte d'ange gardien qui accompagne l'individu tout au long de sa vie, de sa naissance à sa mort. On parle de Genius natalis pour les hommes, et de Juno natalis pour les femmes. Directement héritée des Grecs, la célébration de l'anniversaire est intrinséquement liée à cette croyance, puisqu'il s'agit à l'origine d'une pratique religieuse, dédiée au Genius.
"Le Génie est un dieu sous la tutelle de qui chacun, dès l'instant de sa naissance, est placé pour toute sa vie. Ce dieu, soit parce qu'il préside à notre génération, soit parce qu'il naît avec nous, soit parce que, une fois engendrés, il nous protège et nous défend, s'appelle Génie, du mot latin genere. (...) C'est donc au Génie que, de préférence, à chaque anniversaire de notre naissance, nous offrons un sacrifice. (...) Le Génie est un gardien si rigoureusement attaché à nos pas, qu'il ne s'éloigne point de nous un seul instant; mais, nous prenant au sortir du sein de nos mères, il nous accompagne jusqu'au tombeau." (Censonirus, "De dies natalis", I-2.)

Statuette du Genius du pater familias. (Bronze du Ier s. - ©Luis Garcia.)
 
                                       On célèbre tout d'abord les anniversaires des personnages importants, à titre de fêtes publiques, puis progressivement, les fêtes deviennent privées : d'abord observée par les Patriciens et concernant surtout le pater familias ou chef de famille, la pratique s'étend progressivement à toutes les classes sociales, sans distinction de sexe.

                                        L'anniversaire de sa naissance (dies natalis en Latin) est considéré pour un Romain comme un jour faste, et il porte pour l'occasion une tenue blanche, de préférence neuve, comme un symbole de pureté et de renaissance. Accompagné de ses amis et de sa famille, il sacrifie à son Genius et aux Lares, auxquels il offre des couronnes de fleurs, des gâteaux, du vin ou de l'encens. Sont proscrites les offrandes sanglantes : on croit en effet qu'il serait néfaste de verser le sang ce jour-là. On allume des bougies sur l'autel et on prononce la vota, formule rituelle par laquelle on sollicite la protection du Genius pour une nouvelle année.  
"Disons des paroles de bon augure : l'Anniversaire vient aux autels. Vous tous qui êtes présents, hommes ou femmes, gardez le silence. Qu'on brûle un pieux encens dans le foyer, qu'on brûle les parfums que le voluptueux arabe envoie de son riche pays. Que le Génie vienne voir lui-même les honneurs qu'on lui rend, sa chevelure sacrée ornée de souples guirlandes. Qu'un nard pur dégoutte de ses tempes, qu'il se rassasie de gâteaux et s'arrose de vin pur. Puisse-t-il aussi, Cornute, exaucer tous tes vœux!"  (Tibulle, "Élégies", II - 2.)

Genius ailé. (Fragment de fresque, fin  du Ier s. - ©Jastraw via wikipedia.)


                                        Paradoxalement, on croit aussi que le jour de son anniversaire, un individu est davantage menacé par les mauvais esprits. Une fois la cérémonie en l'honneur du Genius achevée, il convient donc de les effrayer et, pour se faire, on s'entoure de ses amis et de sa famille, chacun apportant un cadeau et formulant des vœux afin de faire fuir les mauvais esprits. A l'origine, les souhaits de bon anniversaire sont donc une sorte de formule magique émise pour protéger du mauvais œil. Les parents, les amis, les clients, les patrons ne peuvent manquer d'offrir un cadeau, car un oubli ou une négligence serait considéré comme une grave offense.
"Debout ! que Rome, par de pieux hommages, célèbre les calendes d'octobre, anniversaire de l'éloquent Restitutus. Silence ! qu'on n'entende plus que nos vœux ! (...) Que le vieil admirateur des temps antiques te gratifie de quelque vase ciselé de la main de Phidias. Que le chasseur te donne un lièvre, le fermier un chevreau, le pêcheur le butin qu'il a prélevé sur la mer. Si chacun se met à t'envoyer du sien, que penses-tu, Restitutus, que doive t'envoyer le poète ?" (Martial, "Épigrammes", X - 87)
                                        Comme le sous-entend Martial, les poètes composent souvent une œuvre pour l'occasion, qu'ils dédient au héros du jour. Tel est le cas d'Horace, qui écrit une ode pour l'anniversaire de Mécène - et ça, c'est quand même la classe ! Martial encore se fend aussi de quelques vers, dédiés à son ami Quintus Ovidius :
"Crois-moi, Quintus, j'aime (car tu le mérites) les calendes d'avril, époque de ta naissance, autant que celles de mars, époque de la mienne. O jours heureux tous deux et dignes d'être notés parmi les meilleurs ! L'un m'a donné la vie, l'autre un ami.  C'est à tes calendes, Quintus, que je dois le plus." (Martial, "Épigrammes", IX -53.)

Apothéose d'Antonin Le Pieux et de sa femme Faustine. (Colonne antonine - ©Lalupa via wikipedia.)



                                        L'extrait cité plus haut, expliquant la nature du Genius, est d'ailleurs tiré d'un livre intitulé "De Dies Natalis", écrit par le grammairien Censorinus en 238 pour l'anniversaire de Quintus Caerellius, son patron.

                                        Enfin, la journée se conclut par un repas, auquel tous sont conviés. Mais à en croire les textes, même la distance n'empêche pas de célébrer un anniversaire. Plusieurs auteurs racontent ainsi comment ils observent la même cérémonie rituelle en l'honneur d'un proche, dont ils sont pourtant éloignés. Ovide célèbre par exemple l'anniversaire de son épouse (mais il est en exil et il file un mauvais coton) :
"L'anniversaire de la naissance de mon épouse réclame les solennités accoutumées. Prépare, ô ma main, de pieux sacrifices ! Ainsi jadis, l'héroïque fils de Laërte célébrait peut-être, aux extrémités du monde, la naissance de Pénélope. Que ma langue n'ait que des paroles joyeuses, et se taise sur mes longs malheurs. Hélas ! sait-elle encore proférer des paroles de bonheur ? Revêtons cette robe que je ne prends qu'une fois dans l'année, et dont la blancheur contraste avec ma fortune ; élevons un autel de vert gazon, et tressons des guirlandes de fleurs autour de son foyer brûlant. Esclave, apporte l'encens qui s'exhale en vapeurs épaisses, et le vin qui siffle répandu sur le brasier sacré ! Heureux anniversaire, quoique je sois bien loin de Rome, je souhaite que tu m'apparaisses ici dans toute la sérénité, et bien différent du jour qui m'a vu naître." (Ovide, "Les Tristes", V - 5.)

 
Autel dédié au Genius de la Legio VII Gemina. (©Caligalitus via wikipedia.)

                                        Ajoutons que certains Romains font des dons, par exemple aux corporations professionnelles dont ils sont membres, afin que leur Genius soit honoré de leur vivant mais aussi après leur mort. En marge de ces fêtes privées, il existe également des célébrations publiques : ces mêmes corporations célèbrent aussi l'anniversaire du Dieu sous la protection duquel elles sont placées et, sous le principat, l'anniversaire de l'Empereur et ceux des membres de la famille impériale donnent lieu à de grandes fêtes, de même que la date de l'accession à la Pourpre (appelée natales imperii). Ces célébrations sont généralement marquées par une journée (fériée et chômée) de jeux et un banquet offert à la foule. Dans les premiers temps, ces fêtes subsistent après la mort des Empereurs mais après 70, on commémore uniquement la naissance des Empereurs élevés au rang de Dieux. (Source : "Le Dictionnaire des Antiquités Grecques Et Romaines" de Daremberg et Saglio.)




Genius de l'Empereur Domitien. (©Jastraw via wikipedia.)


                                        Je n'ai évoqué ici que les anniversaires à proprement parler. Les Romains commémorent aussi dans la sphère publique des évènements tels que l'anniversaire de la fondation des Temples ou des cités (notamment la fondation de Rome), les victoires mais aussi les défaites et les évènements tragiques (qui sont des jours néfastes - par exemple l'assassinat de César). Mais il s'agit davantage de commémorations que d'anniversaires dans le sens où j'ai voulu l'entendre aujourd'hui, et j'en reparlerai une autre fois. Pour le moment, vous allez devoir m'excuser : j'ai des bougies à souffler, et une Juno natalis à honorer ! (Pour les poèmes, ne vous cassez pas la tête : envoyez-les par courriels...)

4 commentaires:

Anonyme a dit…

le 21 juillet
c'est l'anniversaire
de notre rédactrice de billets
qui pour nous plaire
nous conte l'antiquité....

Bref je n'ai rien d'un poète romain, mais au moins j'aurai essayé...
Très bon anniversaire ( en retard mais le coeur y est) et merci.

PS: je viens juste d'avoir Rome et ses Césars de Laurent Palet, petit livre, qui après un premier coup d'oeil rapide, me parait très bien fait.Il se glissera facilement dans ma valise pour mes prochaines vacances.

Philippe a dit…

Trop dur, par hasard je tombe sur votre blog et cela le week-end où
le Tour de France est dans ma ville en plus avec un italien leader. Donc pas le temps de le lire, mais vite vite dans les favoris pour y revenir.

Des heures sur la toile à chercher
des infos sur Rome, jusqu'à apprendre l'italien pour en parler mieux et n'avoir jamais vu ce blog trop génial : un seul mot "bravo".

De ma fenêtre je vois la Tour de Vesone et elle se moque...

Félicitations. Un lecteur assidu de plus pour vous. Philippe

FL a dit…

Merci, merci beaucoup pour votre commentaire ! J'espère que vous passerez de bons moments à me lire et que, peut-être, vous apprendrez quelques petites choses sur l'Antiquité romaine. A défaut de perfectionner votre Italien...

Je vous souhaite en tous cas un bon week-end cycliste, et je conclus en citant Mark Twain : "Achète une bicyclette, tu ne le regretteras pas. Si tu survis."

FL a dit…

Une réponse - avec un peu de retard - au poète anonyme qui a eu la gentillesse de m'offrir quelques lignes. Vous dites que vous n'avez rien d'un poète romain, mais qu'importe : si vous n'êtes pas Horace, je ne suis pas Mécène ! Très sensible à l'attention, je vous remercie sincèrement : c'est adorable.

Quant au livre sur les Césars, n'hésitez pas à revenir sur le blog pour donner vos impressions et dire ce que vous en avez pensé.