Au crépuscule de son Histoire, l'Empire romain n'est plus qu'un édifice vacillant, sur le point de s'effondrer : attaqué de toutes parts par les Barbares sur ses frontières, il est aussi déchiré par les luttes intestines. La gloire d'antan évanouie, demeurent néanmoins des hommes pour qui les mots d'honneur et de courage ont encore un sens. Paulinius Gaius Maximus est l'un de ceux-là. Ayant grandi en Gaule à Arelate, il a rejoint l'armée romaine et s'est vu confier un poste de commandement sur le Mur d'Hadrien. Il s'y est lié avec des compagnons d'armes, y a connu et perdu son épouse, a été trahi par son cousin Julianus qui a rallié l'ennemi et a infligé de sérieux revers à l'armée romaine. Au cours de l'hiver 406, le général Stilicon, d'origine barbare mais commandant de l'Empire d'Occident, sollicite notre héros pour sécuriser les frontières du Rhin. Maximus et son fidèle second Quintus sont envoyés en Germanie où il vont s'efforcer de contenir les Alamans, Alains, Marcomans, Vandales, etc. qui, de l'autre côté du fleuve, comptent bien percer les défenses romaines et déferler sur l'Empire. Mais à la tête d'une maigre légion, Maximus doit en plus affronter la lourde bureaucratie impériale engluée dans la corruption et composer avec le pouvoir chrétien quand lui-même est un fervent adorateur de Mithra. Entre tractations diplomatiques et lutte armée, Maximus tentera jusqu'au bout de protéger l'Empire des invasions. Mais la victoire n'est déjà plus qu'une illusion et ne demeure que l'espoir de retarder autant que possible l'inévitable défaite - avant de mourir, avec honneur et dignité, le glaive à la main.
Les derniers soubresauts de l'Empire et sa chute fracassante : voilà ce que raconte ce remarquable roman, écrit à la première personne. Un Maximus vieillissant retrace son parcours, revenant brièvement sur sa jeunesse et les années passés sur le mur d'Hadrien, avant de centrer son récit sur la mission qui lui a été confiée : tenir, coûte que coûte, la frontière rhénane. Au premier abord, il s'agit donc d'un roman de guerre : les quelques 500 pages exposent surtout la vie du camp romain et les successions d'escarmouches, de batailles, de sièges et de manœuvres contre les Barbares. On assiste aussi aux pourparlers diplomatiques et aux alliances nouées avec des tribus locales, sans lesquelles Rome n'aurait jamais réussi à repousser si longtemps les ennemis.
Plongée dans ce roman de guerre, j'avoue avoir d'abord été réticente tant je suis en général peu touchée par ce genre de littérature : les combats, les tactiques de guerre et les descriptions techniques m'intéressent cinq minutes mais je décroche au-delà de quelques pages. A ma grande surprise, j'ai pourtant été happée par ce pavé, et je n'ai pas lâché le récit avant la dernière ligne. D'abord parce que le roman est riche en thématiques. Plus qu'une litanie de batailles, il dessine en fait un panorama subjectif (puisque décrit du point de vue de Maximus) mais réaliste de la décadence de Rome. A travers la manière dont le héros tente de remplir sa mission, on découvre avec effarement le délitement des institutions locales et impériales, la corruption généralisée, la démotivation des troupes... Autant d'aspects qui, progressivement, sclérosent de l'intérieur un Empire qui peine à maintenir l'intégrité de son territoire.
Extrêmement documenté, le livre remet d'ailleurs en perspective les motivations des peuples germaniques, eux-mêmes poussés vers l'Ouest par les Huns et cherchant à survivre plutôt qu'à conquérir. On y lit aussi les négociations entre Romains et Barbares et les alliances auxquelles elles aboutissent, et la passionnante confrontation symbolique entre Maximus et Julianus court sur tout le roman. De même, le culte de Mithra est omniprésent, mais en filigrane et de manière parfois cryptique - au point que je serais probablement passée à côté sans le dossier proposé en fin d'ouvrage. (Dossier intéressant mais auquel j'aurais ajouté une carte, bien utile pour situer l'action.)
Mais un roman historique reste avant tout un roman, qui ne saurait intéresser le lecteur sans un héros digne de ce nom. Et Maximus (qui aurait d'ailleurs inspiré à Ridley Scott le personnage de "Gladiator", rapporte le dossier de presse) remplit parfaitement ce rôle. Militaire courageux et impitoyable, entièrement dévoué à Rome et prêt à se sacrifier pour défendre l'Empire, il est aussi un ami fidèle et loyal, un homme qui cache ses douleurs et ses failles, qui porte sur ses épaules le destin de ses soldats et illustre d'une certaine manière celui de l'Empire. En tout cela, il incarne toutes les valeurs romaines archaïques, quand celles-ci ne veulent plus rien dire. On finit par s'attacher à ce parangon de vertu romaine et on tremble pour lui comme pour ses compagnons d'armes - alors même qu'aucun doute ne subsiste quant à leur sort inéluctable.
Enfin, la réussite de cet ouvrage tient beaucoup à l'écriture : les dialogues sont enlevés et le récit est détaillé, mais le style reste simple et direct, avec un ton de plus en plus sombre, accentuant le sentiment d'urgence et d'angoisse qui tenaille le narrateur, et se transmet au lecteur. Au fil des pages, on sent monter le désenchantement et la résignation, entrecoupées par des périodes de tension extrême - jusqu'à l'épique affrontement final.
Je ne qualifierais pas cette lecture d'agréable, tant le texte est finalement sombre et pessimiste. Et pourtant, je vous le recommande. Certainement l'un des meilleurs romans sur la chute de l'Empire romain, ce texte dense vous prend aux tripes pour vous jeter sur les rives glacées du Rhin. Ne vous fiez pas aux apparences, ceci n'est pas un roman de guerre - ou pas seulement. C'est une histoire de loyauté, d'intégrité, de courage, de sacrifice et d'honneur ; un roman riche et complexe avec quelque chose de crépusculaire, qui vous raconte l'agonie d'une poignée d'hommes défendant jusqu'aux ultimes instants un idéal depuis longtemps disparu.
Je remercie les éditions Panini, qui m'ont permis de chroniquer cet ouvrage, dont voici les références :
L'AIGLE DE ROME de Wallace Breem.
Éditions Panini Books - Collection Invicta : lien ici.
448 pages - 22€.
2 commentaires:
voilà, j'ai fini, tard dans la nuit, la lecture de cet ouvrage.
Je me suis régalé. C'est vrai que c'est sombre et pessimiste, mais dans le contexte décrit il ne pas en être autrement. Ceci étant cela ne m'a pas gêné, et j'ai vraiment pris un réel plaisir dans ce roman.
Votre conclusion résume parfaitement le livre, et j'apporte de l'eau à votre moulin en recommandant aux amoureux de l'antiquité ce roman.
Merci à vous.
Tant mieux ! Je suis contente si vous avez apprécié le livre, et je vous remercie d'avoir pris le temps de laisser un message.
Personnellement, j'ai vraiment beaucoup aimé l'atmosphère étouffante, je sentais l'urgence et l'angoisse monter au fil des pages... A mes yeux, l'un des meilleurs romans consacré à la "chute" de l'Empire. Votre avis me conforte dans mon opinion.
Si vous avez d'autres conseils de lecture, n'hésitez pas : je suis certaine que tout le monde sera preneur - moi la première !
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