dimanche 7 septembre 2014

Bonne lecture : "Constantin ou la puissance de Dieu."


                                        C'est un peu par hasard que j'ai découvert ce petit ouvrage, lors d'une foire aux livres en marge de laquelle avaient été réunis quelques auteurs. Les bras déjà chargés de bouquins, j'ai jeté un rapide coup d’œil vers la table derrière laquelle ils étaient installés et mon regard s'est arrêté net sur le nom de Constantin. Bien évidemment, le livre s'est immédiatement ajouté à la pile, pourtant déjà chancelante... Mais que voulez-vous : le nom d'un Empereur romain apparaît sur la couverture, et mon sang ne fait qu'un tour.

                                        Le livre en question s'intitule "Constantin ou la puissance de Dieu". Il s'agit d'une courte pièce de théâtre en deux actes, écrite par Pierre-Vincent Roux, auteur breton installé dans le Vaucluse. Il y traite des liens entre pouvoir et Christianisme, au moment où Constantin adopte la religion monothéiste et lui donne une existence officielle.






                                        Pour comprendre cette pièce, il est nécessaire de revenir brièvement sur la politique religieuse menée par Constantin. L'Empereur se serait converti au christianisme après la bataille du Pont Milvus (312) au cours de laquelle lui est apparu le signe de la croix (voir ici). Dès lors, il impose progressivement sa nouvelle religion, et promulgue notamment en 313 l'édit de Milan, qui reconnaît officiellement le christianisme et met fin aux persécutions. Désormais pratiquée librement, la religion chrétienne est cependant secouée par des querelles théologiques s'opposant sur l'interprétation et les doctrines, et auxquelles prend part Constantin. Controverse majeure, l'arianisme tire son nom d'un prêtre alexandrin, Arius, qui affirme la non-divinité du Christ, fils de Dieu créé par Lui. Arius est désavoué en 325 lors du concile de Nicée. Mais réhabilité trois ans plus tard grâce au soutien de Constance, fils de Constantin, il voit sa position renforcée en 335, lorsque le concile de Tyr condamne à l'exil son principal détracteur, l'évêque Athanase.      

                                        La pièce se déroule précisément au lendemain de ce concile, au cœur du palais impérial de Constantinople. Elle met en scène les principaux acteurs de la controverse : Constantin bien sûr, ses fils Constatin le Jeune et Constance, les évêques Eusèbe de Césarée et Eusèbe de Nicomédie, Athanase. La décision d'exiler Athanase ayant été prise, celui-ci sollicite la grâce de l'Empereur, qui interroge ses conseillers sur la conduite à tenir : comment mettre un terme à cette crise, qui divise l'Empire et le fragilise ? Car le problème, en apparence centré sur de complexes questions théologiques, est aussi et surtout politique : les considérations religieuses et les doctes discours dissimulent des intrigues et des complots, chacun tentant d'asseoir sa position - à l'image de Constance qui, s'appuyant sur Eusèbe de Nicomédie, entend bien prendre l'ascendant sur ses frères.

                                        Si le texte fait la part belle aux argumentations théologiques, on comprend vite qu'elles ne sont qu'un prétexte. Du reste, le débat concerne moins la véritable nature du Christ - pourtant au cœur de la polémique - que le rôle de l'Empereur face à la dichotomie du pouvoir temporel et du pouvoir spirituel. Le propos est tout de même érudit et il est parfois difficile d'en dégager toutes les subtilités - opinion que semble partager le personnage de Constantin, qui avoue au détour d'une scène : "Je ne comprends pas toujours pourquoi on dispute encore sur ces vétilles dont on ne trouve même pas trace dans vos Écritures." Ainsi se dessine en filigrane une lutte pour le pouvoir, aux enjeux politiques autant que religieux.


Icône représentant le concile de Nicée, avec Constantin au centre. (©Dante Alighieri via wikipedia.)



                                        La pièce est intéressante dans la manière dont elle illustre ces luttes d'influence et la façon dont les protagonistes s'appuient sur la religion pour s'imposer aux côtés de l'Empereur. En dépit des digressions théologiques, le style reste accessible et l'écriture est fluide. Néanmoins, et même s'il est difficile de juger d'une pièce de théâtre sans la voir jouée, certains aspects me laissent plus dubitative. Par exemple, l'usage de certaines expressions modernes ("Laisse-le mijoter", lance Constantin en parlant d'Athanase...) qui contrastent avec la langue soutenue du reste du texte, ou les similarités de ton et de langage entre les différents personnages. D'autant que, en dehors même du texte littéraire, on se mélange déjà facilement les cothurnes entre les Contantin (le Grand et le Jeune) et les Eusèbe (de Césarée et de Nicomédie)...

                                        Cependant, l'auteur a le mérite de rendre accessible un sujet complexe, et il soulève en outre une autre question passionnante : quelle est la part de sincérité et la part de calcul chez les protagonistes ? Avec finesse, la pièce se garde bien de tout portrait manichéen : à chacun des personnages sa part de piété et sa part de cynisme, et tous tentent de concilier leur foi avec leurs ambitions. A ce titre, Pierre-Vincent Roux trace un portrait possible et convaincant de Constantin, ce qui n'a rien d'évident tant ses motivations font encore débat aujourd'hui. On ignore la date exacte de sa conversion, il ne fut baptisé que sur son lit de mort, et il adopta probablement le christianisme au moins autant pour des motifs religieux que par stratégie politique.

                                        Malgré quelques réserves, je vous ai donc déniché une pièce courte et percutante, qui propose un regard pertinent sur le tournant pris par le Christianisme au IVème siècle. Et a priori, ça ne court pas les bibliothèques...



"Constantin ou la puissance de Dieu" de Pierre-Vincent ROUX.

Éditions Nombre 7 - lien ici.
66 pages - 5€.


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