dimanche 21 septembre 2014

Le jardin antique méditerranéen de Balaruc-les-Bains.


                                        Comme tout cinglé d'Antiquité romaine (et d'Antiquité en général), j'adore visiter les musées et les sites antiques. J'y découvre des pans entiers de l'Histoire romaine, et surtout de petits objets apparemment anodins, qui traduisent pourtant la réalité de la vie quotidienne. Toutefois, j'admets qu'il est quelquefois difficile de projeter quoi que ce soit sur un tesson d'amphore ou de recréer tout un scénario à partir d'un vieux bracelet oxydé, exposé dans une vitrine. Se rapprocher de l'univers des Romains, de leur environnement et du monde dans lequel ils évoluaient demande parfois une imagination débordante... et parfois non ! Organisée par l'association Carpefeuch, la visite du jardin antique méditerranéen de Balaruc-les-Bains m'a catapultée sous le règne d'Auguste le temps d'une matinée : si j'avais mis ma stola, j'aurais presque pu imaginer que Livie m'attendait pour la cena...

 Le jardin romain, entre nature et culture.


                                        Il existe à Rome un fantasme, un mythe de la campagne et de la nature, qui trouve sa source dans l'Histoire de la Cité. On garde en mémoire la fondation de Rome par Romulus et Remus, qui étaient au départ de simples bergers, on évoque la figure du soldat-paysan du début de la République, on se souvient de ses propres origines rurales - une grande partie des familles citadines venant de la campagne. Cet attachement à l'image idéalisée d'une ruralité symbole de simplicité et de moralité atteint son point d'orgue sous le règne d'Auguste, où des auteurs comme Virgile exaltent la vie campagnarde. Pour satisfaire ce désir de retour à la terre, les riches citoyens romains  ornent de fresques les murs de leurs demeures et y font aménager de superbes jardins. C'est dans cette atmosphère que nous plonge le jardin antique méditerranéen de Balaruc-les-Bains, au travers d'une balade hors du temps.




Copie de la fresque de la maison de Livie.

 

                                        Pour illustrer l'idée du jardin romain, la visite commence devant une copie d'une fresque ornant le triclinium souterrain de la villa de Livie à Rome. Son analyse permet de comprendre comment a été pensé et aménagé le jardin de Balaruc, tant dans son architecture que dans sa disposition. Au Ier siècle, le décor domestique reprend en effet le thème de la nature, dans un traitement réaliste mais idéalisé. La peinture donne à voir un jardin luxuriant, ni tout à fait sauvage ni tout à fait domestique, qui relève du fantasme, de l'illusion, voire du symbole. Cette fresque en trompe-l’œil apparaît comme une prolongation du sol de la pièce, lieu de civilisation qui se poursuit dans ce jardin imaginaire dont elle est séparée par un muret. Le jardin lui-même est clos, c'est un espace fermé dans lequel on n'entre pas. Quelques plantes, toutefois, se sont frayé un chemin à travers le grillage : elles montrent comment la nature parvient à prendre le dessus, à s'avancer dans le monde civilisé. Le jardin romain se situe à l'intersection de ces deux espaces, entre ville et champs : c'est une nature à la lisière du cadre urbain civilisé.

                                        Les différentes espèces végétales et animales représentées sont tellement réalistes qu'il est facile de les identifier, mais elles s'épanouissent dans un décor irréel, qui ne tient pas compte des périodes de floraison et mélange les saisons. Cognassier, grenadier, rosier, laurier-rose, cyprès, églantier... Chaque arbre est en outre lié à une divinité dont il est la représentation. La grenade symbolise par exemple Junon, le cognassier Vénus, et le laurier, au centre de la fresque, figure Apollon ou peut-être Auguste (dont il est la divinité tutélaire.) Parmi les herbacées, on reconnait l’œillet, le pavot, la matricaire, l'avoine... Fleurs, arbres fruitiers, herbes aromatiques se côtoient, montrant la diversité du jardin romain.

Le cognassier, dédié à Vénus.

Du jardin de Livie à celui de Balaruc.


                                        Ces différents aspects du jardin romain se retrouvent dans celui de Balaruc - qui est en fait composé de 7 espaces différents, formant une domus extérieure puisque chacun évoque une pièce de la maison. Le parcours permet d'appréhender tous les thèmes propres au jardin méditerranéen antique et il dévoile les usages auxquels étaient destinées les plantes : alimentation, médecine, cosmétique, ornementation, cuisine, religion, artisanat. 

                                        Je pourrais paraphraser le petit guide que j'ai acheté sur place, et vous détailler chacun des espaces en énumérant les différentes plantes que l'on peut y admirer - comme si Tistou les Pouces Verts était mon cousin. En réalité, je suis beaucoup plus proche d'Attila : là où je passe, les plantes vertes ne repoussent pas ! L'espérance de vie d'un végétal chute de manière significative dès qu'il est placé sous ma garde, et je n'y connais strictement rien en botanique.  Je vous renvoie donc à la brochure du Jardin (lien en fin d'article) et je me contenterai d'évoquer mes propres impressions.





Autour du nymphée de Vénus...


                                        Que vous soyez férus de botanique ou à peine capable de reconnaître un laurier, je peux vous promettre que la visite vous enchantera. Entre le ciel et l'étang de Balaruc, qui s'étend à vos pieds et surgit soudain au détour d'une allée, le jardin éclate de mille couleurs et senteurs qui s'épanouissent au milieu d'une architecture romaine reconstituée. Tonnelles, colonnades, fontaines, nymphées, autels votifs, pergolas, bassins entretiennent l'illusion d'une plongée dans la Rome antique, structurant l'espace en ouvrant des perspectives et en délimitant les différents jardins, où les allées plantées de fleurs et de plantes basses alternent avec des chemins ombragés. La diversité des végétaux, la mise en scène à l'antique et la beauté du lieu font déjà de ce jardin une réussite.





Divinités du lucus.
Mais ce que j'ai trouvé remarquable, c'est la manière dont est soulignée la présence des Divinités - comme le montrait du reste la fresque de Livie. Ornementale, médicinale, alimentaire, etc. , chaque plante est en même temps liée à l'esprit d'un dieu, d'une déesse, d'une nymphe... Et chacun des 7 espaces prend alors un caractère mythologique, les végétaux le plaçant sous la protection de sa divinité tutélaire. Tel est par exemple le cas du bois sacré, ou lucus, lieu de culte par excellence où foisonnent les plantes évoquant Hercule, Priape, ou les divinités de la nature; ou du jardin de Vénus, dédié aux plantes cosmétiques et odoriférantes, où fleurissent grenadiers, cognassiers, myrte, sauge, et surtout la rose. Pour compléter l'illusion, des autels votifs chargés d'offrandes s'élèvent au détour des sentiers.



Grenades, en offrande à Junon.




                                        Personnellement, j'ai vraiment adoré l'ensemble de cette visite. Mais j'ai surtout aimé ce jardin de Vénus qui laisse une impression de volupté et de sensualité, et j'ai été particulièrement sensible à celui nommé d'après Discoride, médecin grec auteur d'un ouvrage sur les propriétés des plantes. Ce troisième jardin est donc dédié aux plantes médicinales, comme la menthe, le figuier, l'absinthe, la moutarde, la verveine, la rue,... Elles agissent sur le système respiratoire, les inflammations, les ulcères, dans le domaine gynécologique ou digestif et, consommées sous forme de tisane, de fumigation, de jus ou d'onguent, elles sont récoltées selon une technique et à un moment bien précis, afin de s'assurer de leur efficacité. Ceux qui me connaissent ne seront pas surpris d'apprendre que cet espace, qui m'a tellement plu, était aussi voué à la Déesse Hécate, divinité chthonienne qui préside à la magie, de surcroît liée à la mort. En effet, le terme grec de pharmakon désigne tout aussi bien les plantes médicinales que les drogues, et un même végétal peut guérir ou tuer, selon l'usage qui en est fait. Il règne dans le sous-bois attentant, qui lui est dédié, une ambiance particulière : dans un mélange d'ombre et de lumière, une clarté diffuse peine à percer la touffeur des branchages et une odeur douceâtre d'humidité émane du nymphée permettant l'irrigation des plantes médicinales ; suspendues aux branches d'un arbre, des statuettes votives évoquant diverses divinités renforcent l'illusion magique du lieu.

L'arbre dédié à Hécate.

                                        Vous êtes peut-être moins romantique ou moins gothique que moi... Dans ce cas, vous découvrirez avec gourmandise le clos des Apicius avec ses légumes et ses aromates, vous vous recueillerez dans le bois sacré dont j'ai déjà parlé, vous admirerez les débuts de l'art topiaire initié au IIème siècle, ou vous vous passionnerez pour les plantes servant à fabriquer tissus ou colorants dans le jardin des substances. Vous découvrirez surtout un formidable espace protégé, valorisant une biodiversité millénaire  et un héritage naturel, historique et culturel, qui vous entraîne au cœur du jardin romain de l'antiquité. Voyage dans le temps et hors du temps, comme une parenthèse rêvée dans la nature fantasmée de la domus des premiers temps de l'Empire - à voir au gré des saisons.    







Jardin Antique Méditerranéen.
Rue des Piochs
34540 Balaruc-Les-Bains.
04 67 46 47 92.

Ouvert de Mars à Septembre - fermé le Lundi.
Tarif normal : 4€50
Voir la brochure pour le détail des horaires et tarifs.

Petit conseil : n'hésitez pas à suivre la visite guidée (Le Mercredi - 6€50.) Notre accompagnateur était vraiment fantastique, et il a su mêler botanique, Histoire et mythologie avec beaucoup d'humour.



Liens : 

Le site :  c'est ici.
La brochure en PDF : c'est par là.
Visite virtuelle du jardin : on clique ici.
Compte-rendu de la visite sur le site de Carpefeuch : venez par ici !
                             

4 commentaires:

Anonyme a dit…

Je viens de découvrir votre blog hier soir. Je l'ai dévoré articles après articles jusque tard hier soir.
Merci d'avoir posté le fruit de vos recherches. C'est toujours agréable de découvrir de nouvelles anecdotes antiques (à défaut d'avoir une machine à remonter le temps...)
Bonne continuation.
Signé: un amateur de l'Empire Romain moins studieux que vous!
Slm.

FL a dit…

Merci beaucoup pour le message et les compliments - et désolée pour la nuit blanche ! En attendant de découvrir une faille spatio-temporelle, nous avons heureusement d'autres moyens d'explorer cette antiquité romaine qui nous plaît tellement... Mais si vous trouvez cette fameuse machine à remonter le temps, réservez-moi une place :-)

Sylviane130 a dit…

non seulement férue d'antiquité, tu gères très bien l'informatise; merci pour les liens ici et là …..très belle visite virtuelle et panoramique du jardin. En ce temps d' inondations le chant des cigales redonne le moral!

FL a dit…

En temps normal, je dis toujours que la visite virtuelle ne vaut pas la visite "en vrai". Sauf qu'en cette saison de pluies cévenoles, je préfère largement une balade via écran, au soleil et les pieds au sec ! Il y parfois des avantages ;-)