mercredi 9 avril 2014

"A Rome, Fais Comme Les Romains."


                                        "A Rome, fais comme les Romains" : s'il y a bien un proverbe qui m'enchante, c'est celui-là ! Même si je ne suis pas à Rome, je suis d'ailleurs prête à faire comme les Romains, à quelques détails près... Et si les arènes de Nîmes ne sont pas le Colisée, on peut s'y croire avec un peu (ou beaucoup) d'imagination !

                                        Dans le langage courant, on emploie l'expression pour signifier qu'il faut se conformer aux pratiques en vigueur dans l'endroit où l'on est, s'adapter aux coutumes locales et ne pas imposer les siennes. Que l'on adhère ou pas à l'idée générale, il reste tout de même une question : qu'est-ce que Rome vient faire là ? Pourquoi implique-t-on les Romains dans cette histoire, au lieu de dire par exemple : "A Toulouse, fais comme les Toulousains" ?! Et bien, c'est à cause de Saint Augustin. Ou plus exactement de Saint Ambroise, évêque de la ville de Milan, et de ses bons conseils.


Saint Augustin et Sainte Monique. (Vitrail de l’église du Sacré-cœur de Douarnenez.)


                                         Lorsque Saint Augustin (qui n'est pas encore Saint) arrive à Milan en 384 afin d'y assumer la charge de professeur de rhétorique à la cour impériale, il constate que les pratiques religieuses ne sont pas les mêmes qu'à Rome : en effet, les Chrétiens de Rome respectent le repos hebdomadaire et jeûnent le Samedi, tandis qu' à Milan, on jeûne le Dimanche. Pas de quoi troubler Augustin - mais il est accompagné de sa mère, Sainte Monique, que ce décalage de 24 heures plonge dans le désarroi le plus total. Le fils aimant se tourne alors vers Ambroise, évêque de Milan, et lui demande son avis :
"Ma mère m'ayant suivi à Milan, y trouva que l’Église n'y jeûnait pas le samedi; elle se troublait et ne savait pas ce qu'elle devait faire; je me souciais alors fort peu de ces choses; mais, à cause de ma mère, je consultai là-dessus Ambroise, cet homme de très heureuse mémoire; il me répondit qu'il ne pouvait rien conseiller de meilleur que ce qu'il pratiquait lui-même, et que s'il savait quelque chose de mieux, il l'observerait. Je croyais que, sans nous donner aucune raison, il nous avertissait seulement, de sa seule autorité, de ne pas jeûner le samedi, mais, reprenant la parole, il me dit: «Quand je suis à Rome, je jeûne le samedi; quand je suis ici, je ne jeûne pas ce jour-là. Faites de même; suivez l'usage de l’Église ou vous vous trouvez, si vous ne voulez pas scandaliser ni être scandalisé.» Lorsque j'eus rapporté à ma mère cette réponse, elle s'y rendit sans difficulté." (Saint Augustin, "Epistula", LIV.)

Augustin lui-même n'est pas mécontent de la sentence, et il ajoute : "Depuis ce temps, j'ai souvent repassé cette règle de conduite, et je m'y suis toujours attaché comme si je l'avais reçue d'un oracle du ciel."

                                        Cela dit, la question ne semble pas avoir tellement tourmenté le saint homme et, pour résumer, si une pratique n'est pas spécifiquement prescrite par les Saintes Écritures ou par l'autorité ecclésiastique, Saint Augustin juge finalement la question insignifiante :
"Il y a des choses qui changent selon les lieux et les contrées; c'est ainsi que les uns jeûnent le samedi, les autres non, les uns communient chaque jour au corps et au sang du Seigneur, les autres à certains jours seulement; ici nul jour ne se passe sans qu'on offre le saint sacrifice; là c'est le samedi et le dimanche; ailleurs c'est le dimanche seulement; les observances de ce genre vous laissent pleine liberté; et, pour un chrétien grave et prudent, il n'y a rien de mieux à faire, en pareil cas, que de se conformer à la pratique de l’Église où il se trouve. Ce qui n'est contraire ni à la foi ni aux bonnes mœurs, doit être tenu pour indifférent et observé par égard pour ceux au milieu desquels on vit." (Saint Augustin, "Epistula", LIV.)

    Saint Ambroise. (Mosaïque, Basilique de Milan.)

                                        Cette judicieuse suggestion épiscopale, Saint Augustin la reprend également dans une autre lettre, adressée au prêtre Casulanus (Epistula XXXVI). Il y relate à nouveau les circonstances dans lesquelles Saint Ambroise a prononcé ces paroles et conclut de la même manière : les textes évangéliques n'apportant aucune directive précise quant à l'observance du repos hebdomadaire et du jeûne, la sagesse veut que l'on suive les coutumes prescrites par l'évêque local.

                                        On remarquera au passage que la tolérance et la faculté d'adaptation dont témoignent ici les deux Saints contrastent singulièrement avec l'image que l'on a généralement de l’Église chrétienne de l'époque, où la moindre divergence liturgique provoquait disputes et controverses...

                                        Au fil des siècles, la citation de Saint Ambroise rapportée par Saint Augustin s'est modifiée, et c'est sans doute au Moyen-Âge qu'elle s'est fixée sous la forme simplifiée que nous utilisons encore aujourd'hui : à Rome, fais comme les Romains. Et que l'on peut aussi appliquer aux Toulousains, soit dit en passant !


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