dimanche 6 avril 2014

Revue De Presse : Le Figaro - Auguste.

                                        Il y a quelques semaines, je vous ai présenté ici un numéro de la revue L'Histoire,  largement consacrée à l'Empereur Auguste, à l'occasion de la commémoration de sa mort. Une autre publication sur le même thème a retenu mon attention : le hors-série du Figaro, sorti ce mois-ci. Bon, j'entends déjà les objections : quel intérêt de se précipiter sur ce deuxième magazine, puisqu'il aborde exactement le même sujet ? A priori, le regard porté sur le règne d'Auguste n'a pas radicalement changé en quelques semaines... Certes, mais les deux revues proposent finalement des numéros complémentaires, et celui publié par le Figaro est une alternative intéressante, plus accessible et généraliste mais tout aussi sérieuse.

                                        Sorti à l'occasion de l'ouverture de l'exposition "Moi Auguste, Empereur" au Grand Palais, sur laquelle il s'appuie largement pour ses remarquables illustrations, ce hors-série offre un panorama assez complet de la vie et du règne du premier Empereur. Ce n'est pas une biographie exhaustive, mais à travers plusieurs grandes thématiques, la revue embrasse les grandes lignes du parcours personnel et politique d'Auguste. Comme souvent, les auteurs ont choisi en introduction plusieurs journées précises qui, à leurs yeux, marquent des tournants dans son destin: sa naissance le 23 septembre 63 avant J.C., l'assassinat de Jules César, la bataille d'Actium, l'adoption de son beau-fils Tibère en vue de faire de lui son successeur, etc. Les dates retenues sont pertinentes et dessinent en pointillés la trajectoire de celui qui, né Octave, devient Auguste peu après son accession au pouvoir. On pourra toutefois regretter une écriture un peu trop romancée, l'écrivain prenant parfois le pas sur le journaliste : au-delà des faits, il me semble hasardeux d'interpréter l'état d'esprit d'un homme et de tenter de décrypter ses sentiments...

                                        Dans un second temps, le magazine se penche plus en profondeur sur certains aspects du règne d'Auguste, en commençant par son ascension fulgurante. Jeune blanc-bec de 18 ans sans appui politique ni expérience militaire, rien ne prédestinait celui qui se nommait encore Octave à prendre le pouvoir après la mort de Jules César, son grand-oncle. Son adoption par le dictateur assassiné change la donne en lui donnant une légitimité, lui permettant de se positionner comme son héritier politique. On suit ainsi l'évolution du jeune homme, du jeu de dupes qui l'oppose à Cicéron à la manière dont il écrase successivement les césaricides puis son ancien allié Marc Antoine, jusqu'à l'instauration d'une monarchie qui ne dit pas son nom et préserve l'illusion de la République. L'article dessine le portrait d'un homme intelligent, ambitieux, opportuniste et habilement manipulateur, qui parvient en quelques années à s'imposer comme le maître de Rome.

                                        Pierre Cosme, grand spécialiste s'il en est, étudie ensuite la politique extérieure. Sont surtout abordées les manœuvres politiques ou militaires menées en Orient ou en Germanie - dont le fameux désastre de Teutobourg. S'il ne brilla jamais sur le champ de bataille, Auguste sut s'entourer des meilleurs - dont Agrippa et Tibère. Autre proche de l'Empereur, Mécène exerça quant à lui une influence considérable sur la littérature, dont la floraison est une des grandes caractéristiques de la période augustéenne. De façon assez intéressante, la revue propose une autre vision du "Siècle d'Auguste", en contrepoint de l'analyse livrée par L'Histoire puisqu'elle met en doute la pertinence du terme de propagande qui y est souvent associé. Le magazine défend au contraire l'idée d'une idéologie commune, soulignant que  les valeurs défendues par les grands auteurs de l'époque correspondaient souvent à celles prônées par le nouveau régime. Mais un Horace, un Tibulle ou un Ovide ont aussi développé leurs propres thématiques, comme l'exaltation du passé rural ou plus encore la mise en exergue de l'otium ou des amours, sujets peu conformes à la politique impériale.






                                        Autre thème ingénieusement abordé, la manière dont Auguste a marqué de son empreinte le paysage urbain romain traduit une fois encore une visée politique. La restauration ou l'édification des temples souligne par exemple l'ambition affichée de l'Empereur, qui se voulait le restaurateur d'une religion romaine garante de la pax deorum. Nouveau forum, ara pacis, bibliothèques, etc. : le nouveau plan d'urbanisme, en apparence incohérent, dessine en réalité une nouvelle Rome, exaltant la puissance d'un Empire naissant, dirigé par un Auguste qui se présente comme un "nouveau Romulus". L'architecture proprement dite surprend car, en amalgamant diverses influences principalement issues de l'architecture grecque sans distinction d'époque, le style augustéen, riche et complexe, met en exergue la notion d'emulatio, selon laquelle l'artiste imitant une œuvre originale doit y apporter son savoir-faire en vue de l'améliorer, portant son art à un niveau supérieur. Pour conclure ce chapitre, un article présente les dernières découvertes archéologiques qui mettent à mal l'idée, pourtant régulièrement reprise, d'un Auguste occupant une modeste demeure sur le Palatin. Elles révèlent en effet un splendide et immense palais, plusieurs fois remodelé, abritant entre autres un sanctuaire dédié à Apollon, sous la protection duquel se plaçait le Prince.   

                                        Se pose aussi la question de la succession, problème auquel Auguste se heurta tout au long de sa vie. La mort successive des hommes de sa famille qu'il choisit pour régner à sa suite le contraint finalement à adopter Tibère, son beau-fils. Car, régime crypto-monarchique, le principat ne saurait être ouvertement héréditaire : l'Empereur, toujours aussi subtil, se prête au jeu en pressentant et adoptant son futur successeur, entre les mains duquel il concentre peu à peu les pouvoirs civils et militaires que prorogeront les Sénateurs après sa mort, ratification fictive d'un choix déjà acté. Un bref portrait de l'épouse d'Auguste, Livie, clôt le chapitre.

                                        En guise de conclusion, une interview des commissaires de l'exposition du Grand Palais développe les grands axes de la manifestation en évoquant certaines œuvres ou certains objets qui y sont montrés. L'entretien esquisse notamment une réflexion passionnante sur l'évolution des portraits sculptés d'Auguste, la physionomie idéalisée répondant aux impératifs politiques et idéologiques de chaque période. A noter, enfin, une bibliographie sélective à destination de ceux qui souhaiteraient aller plus loin.

                                        Il n'est pas facile de départager L'Histoire et le Figaro. Le premier, plus "pointu", reste centré sur quelques grandes axes et approfondit ses sujets, présentant souvent plusieurs points de vue et alimentant la réflexion du lecteur. Le second, en revanche, est plus éclectique - au point de partir un peu dans tous les sens ! - mais il remet l'exposition du Grand Palais dans son contexte, en abordant l'essentiel du règne d'Auguste dans un style simple et accessible. L'iconographie est plus factuelle et informative chez L'Histoire, tandis que le Figaro fait étalage des plus belles pièces du Grand Palais. C'est la raison pour laquelle je parlais en introduction de la complémentarité des deux revues : le Figaro constitue une excellente introduction à la visite de "Moi Auguste, Empereur", en particulier pour ceux qui ne sont pas très familiers du sujet ; la revue L'Histoire permet ensuite d'aller plus loin, en soulevant des questions plus précises et en invitant à poursuivre la réflexion.

                                        Bon, à choisir, je recommanderais plutôt le numéro spécial du Figaro. Si vous avez la chance de vous rendre au Grand Palais, il me semble être le guide idéal pour préparer votre visite (et vous pourrez le garder en souvenir après !); dans le cas contraire, il en donne une jolie vision d'ensemble et vous en montre quelques merveilles. En attendant, si tout va bien, le compte-rendu de "La Toge Et Le Glaive"...



AUGUSTE, LES PROMESSES DE L'AGE D'OR.


LE FIGARO HORS-SÉRIE.
Mars 2014 - 8.90€.

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