mercredi 10 septembre 2014

Entretien avec Pierre-Vincent Roux, auteur de "Constantin ou la Puissance de Dieu."



                                        Dimanche dernier, je vous a présenté "Constantin ou la Puissance de Dieu", pièce de théâtre écrite par Pierre-Vincent Roux. Contacté par l'intermédiaire de son éditeur, Nombre7 éditions, il a gentiment accepté de répondre à quelques questions, pour apporter un éclairage personnel sur son ouvrage.

Pouvez-vous présenter votre parcours en quelques mots ? Comment êtes-vous venu à l'écriture ?

Je suis né dans une famille de la classe moyenne, dernier de sept enfants. J'ai fait des études de philosophie et de droit voulant devenir ethnologue. Puis les nécessités de la vie ont fait que je suis entré à la Sécurité-sociale. Mon dernier poste était la direction de la caisse d'allocations familiales de Brest. J'écris depuis l'adolescence. J'ai publié à 19 ans mon premier recueil de poèmes , "Genèse".


Vous avez écrit des romans, des essais, des nouvelles... Pourquoi avoir choisi la forme théâtrale pour traiter des controverses théologiques du IVème siècle ? Etiez-vous intéressé par l'Empire romain, ou par le christianisme ?

J'ai écrit ma première pièce de théâtre (un couple de personnes âgées qui se déchirent) il y a 10 ans. Depuis j'en ai écrit une bonne quinzaine. La forme théâtrale me plaît beaucoup (je suis un grand amateur de théâtre) et me convient car l'expression parlée et l'échange qu'elle permet entre les personnages me semblent plus proches de la vie. C'est une sorte de matière brute (bien sûr très travaillée) sans le filtre du récit ni l'expression des opinions de l'auteur.

L'empire romain m'intéresse, je suis très admirateur de leurs constructions et de l'ordonnancement de leurs maisons et des villes dont la perfection n'a jamais été dépassée. La littérature romaine est intéressante comme la pensée pourtant souvent décriée en comparaison de la grecque. Le christianisme, dont j'ai abandonné la pratique à 20 ans, ne cesse de me fasciner. J'ai donné à plusieurs reprises une conférence sur ses origines. La question qui me hante est celle précisément des origines : formation des concepts et extension jusqu'à devenir la première religion du monde. N'oublions pas que le christianisme n'était sans doute, du temps du Christ, qu'une petite secte juive, représentant une énième interprétation du pharisaïsme.


Le baptême de Constantin. (Vitrail de l' Église Sainte-Madeleine de Troyes - © Inventaire général, ADAGP, 1985.)

Vous avez choisi d'écrire sur une période charnière de l'Histoire du christianisme, en l’occurrence le règne de Constantin qui le reconnaît officiellement. Mais pourquoi précisément avoir situé l'action au lendemain du concile de Tyr ?

Cette période post-conciliaire m'a semblé la plus intéressante parce qu'elle est très riche en enjeux de toutes sortes. D'abord, celui du canon puisque l'arianisme revient à la surface avec l'amendement de la formule nicéenne qui lui laisse un espace libre pour s'exprimer à nouveau. Ensuite, l'âge de Constantin qui pose les questions de son baptême (qui aurait eu lieu peu de temps avant sa mort) et de sa succession, et ce dans le contexte de la menace Perse. Tous ces éléments se renforcent pour créer un climat de trouble et d'insécurité dont les dignitaires de l’Église se servent pour asseoir définitivement son pouvoir dans et sur l'empire. Il est vraisemblable que l'idée d'une interdiction du culte païen fût déjà dans les têtes. C'est donc une période charnière pour le christianisme, pour l'empire et le monde.

Le débat reste ouvert quant à la date de la conversion de Constantin, ainsi que sur ses motivations. A vos yeux, quelle est la part de sincérité et la part de calcul chez ce personnage ?

Il est très difficile de se prononcer en l'absence d'éléments probants sur la sincérité ou non de Constantin. La prise de position a plus de chance de refléter la subjectivité de celui qui parle que la réalité. Ceci dit, je pencherais pour une posture opportuniste au départ puis pour une lente conversion, ou acculturation, tout au long de sa vie. N'oublions pas que le christianisme n'était encore pas très développé au début du IVème siècle et qu'il lui fallut donc un certain courage pour le faire admettre et s'en réclamer, même s'il continua à pratiquer le culte païen. Son milieu de vie est toutefois majoritairement chrétien. Par ailleurs, il trouvait dans cette doctrine de quoi renouveler et refonder la théorie du pouvoir de l'empereur, double sur terre du Dieu de l'univers.


Le Pape Sylvestre et Constantin. (Basilique des Quatre-Saints-Couronnés - via wikipedia.)


La reconnaissance du christianisme, religion monothéiste exclusive, pose en même temps la question de l'interdiction à moyen terme du paganisme, mais aussi celle de la séparation du pouvoir temporel et du pouvoir spirituel. Dans quelle mesure la politique de Constantin annonce-t-elle - ou pas - la future Papauté ?

Le paganisme sera interdit et combattu, avec beaucoup de violences parfois, quelques années plus tard, à la fin du siècle et au siècle suivant. C'est là une évolution inévitable, le christianisme, religion révélée, ne pouvant se satisfaire, dès qu'il en les moyens, d'une cohabitation avec les cultes païens. Notons que l'inverse n'est pas vrai puisque Julien n'interdira pas le christianisme et montrera même une certaine tolérance à l'égard de ses clercs.

Le christianisme justifie le pouvoir absolu du monarque sur les hommes en le soumettant à celui de Dieu qui s'étend à l'ensemble de la création. Il lui est donc soumis, comme le temporel l'est au spirituel, mais il n'en reste pas moins fondé par le dogme et la foi. Jusqu'au XVIème-XVIIème siècle cette question des rapports de l'un à l'autre ne cessera d'être débattue. La papauté cherchera, peut-être jusqu'à la fin du XIXème siècle, à conquérir d'abord puis maintenir et restaurer la primauté du spirituel, entendons celle de l’Église en tant qu'institution universelle.  Les rapports de Constantin avec les dignitaires d'orient (car la papauté semble n'avoir eu que peu d'influence sur ces grands débats) sont tout autres : le spirituel n'est pas encore établi comme puissance reconnue, l'empereur est le maître absolu, du christianisme comme il l'est aussi du culte impérial. Il impose Nicée et, semble-t-il, le canon qui y sera reconnu. C'est lui qui tranche même s'il est manifestement influencé, voire manipulé, par les clercs qui sont à sa cour. Le christianisme émerge comme religion d’État dans un contexte romain où le culte ancien est entièrement soumis au pouvoir impérial, il est en fait le culte de l'empereur. Les choses ne changeront que plus tard, au Vème et VIème siècles lorsque le christianisme régnera en maître (sur les grands et les milieux urbanisés car il faudra attendre plusieurs siècles encore pour que la christianisation des masses paysannes s'achève en Europe).


                                        Je me permettrai simplement de souligner à quel point ces réponses complètes, pertinentes et érudites, donnent un aperçu de l'ouvrage que j'ai eu le plaisir de chroniquer. On y retrouve la même finesse d'analyse, le même refus d'une opinion manichéenne, et les mêmes problématiques qui sous-tendent l'ensemble de la pièce. A la lumière de cet entretien virtuel, je  confirme tout l'intérêt de cet ouvrage, dont je rappelle les références.



"Constantin ou la puissance de Dieu" de Pierre-Vincent ROUX.

Éditions Nombre 7 - lien ici.
66 pages - 5€.


Un grand merci à Pierre-Vincent Roux pour le temps qu'il a bien voulu m'accorder, et à M. Christophe Lahondès qui nous a mis en contact.

2 commentaires:

Anonyme a dit…

Bonjour,
c'est un plaisir sans cesse renouvelé que de lire vos chroniques sur des thèmes les plus variés, dans le cadre de votre passion entièrement assumée.
Concernant les deux chroniques sur " Constantin ou la puissance de dieu ", je me permets de réagir à votre usage de l'adjectif manichéen. Cette religion a dû lutter tant contre les clergés zoroastrien que chrétien, ce qui a abouti à un dénigrement systématique et simplificateur de ses principes. D'où l'acception courante de cet adjectif pour signifier un raisonnement ou une approche binaire.
Une fois de plus, les vainqueurs ont toujours raison... Quoique.
Meilleures salutations,
Nicolas Abensour

FL a dit…

Bonjour,

Je vous avoue que votre commentaire ne m'a pas surprise, et j'ai moi-même hésité à utiliser le mot de "manichéen", précisément pour la raison que vous soulignez. (D'autant que l'un de mes proches est Zoroastre !)
Toutefois, j'ai finalement pris le terme dans son acception générale. Mais je comprends votre remarque, et je suis heureuse de pouvoir publier votre commentaire. Merci, donc, pour cet éclairage. :-)